Ce dimanche 15 mars 2015, l’église Saint-Jean, dans le quartier de Youhanabad à Lahore (Pakistan) connaît son affluence habituelle, autrement dit elle est bondée. Un conducteur s’énerve, bloqué devant le portail de fer qui barre l’entrée à la cour sur laquelle donne l’église. Il veut faire entrer son véhicule. Mais alors qu’il descend pour passer la porte, Akash Bashir l’arrête. Le jeune homme de 19 ans a remarqué sa ceinture d’explosifs, et il le plaque contre la porte. S’adressant au terroriste, il lui assure : "Je vais mourir, mais tu ne passeras pas".
"Et c’est ce qu’il a fait", témoigne Sikandar, l’un des jeunes paroissiens, qui assurait lui aussi la garde de l’entrée de l’église ce dimanche de carême 2015. Il a contraint le terroriste à se faire exploser dehors, le tuant ainsi que 14 autres personnes. un chiffre qui aurait été bien plus important s'il avait pu pénétrer dans l'église. Le même jour, un attentat lui aussi commandité par le TTP – les talibans au Pakistan – avait frappé un autre lieu de culte, situé à 500 mètres de l’église Saint-Jean. Blessé par l’explosion qui a tué son camarade Akash, Sikandar a perdu un œil mais cela ne l’a pas empêché de reprendre son poste à l’entrée de l’église. "Les terroristes voulaient nous faire peur. Cela n’a pas marché. Après l’attentat nous avons eu beaucoup de candidatures de jeunes hommes qui voulaient monter la garde, à leur tour !"
Je n’aurais pas compris s’il avait agi autrement.
Les chrétiens au Pakistan représentent 2% d’une population majoritairement musulmane, traversée par des groupes extrémistes religieux de différentes obédiences. Outre le TTP des talibans sunnites, le parti TLP musulman soufi porte des revendications extrémistes, comme la mise à mort des "blasphémateurs" ou l’application stricte de la charia. Les quelque 4 millions de chrétiens pakistanais se savent épiés et menacés. Beaucoup d’entre eux proviennent de familles d’intouchables hindous convertis, et cette ascendance les poursuit comme une marque infamante. Le plus souvent, ils ne peuvent accéder qu’aux métiers les plus méprisés.
À l’image de cette population, les parents d’Akash Bashir vivent très humblement, témoigne Natalie Chambon qui les a rencontrés dans le cadre de ses fonctions pour l’Aide à l’Église en Détresse. Elle décrit une famille de cinq enfants pieuse, partagée entre le deuil et la fierté à l’égard de leur fils. "Je n’aurais pas compris s’il avait agi autrement", assure le père. Il se dit persuadé que le jeune homme est déjà au paradis. Quand le frère aîné d’Akash, à 25 ans, s’est proposé comme volontaire pour assurer la sécurité de l’église à son tour, le père ne s’y est pas opposé.
Quant à la mère, elle demande : "Comment une mère peut-elle vivre cela ?", interroge-t-elle. Elle raconte les détails de cette journée et se souvient avec émotion de son fils qui était parti dans un vêtement blanc pour sa mission dominicale. Puis elle raconte un rêve qui revient souvent la consoler dans sa peine : "Je vois Akash, allongé sur une belle plage, lisant la Bible. Je l’appelle pour lui dire de laver son bel habit blanc car il est couvert de sang. Puis je lui demande où il est et il me répond qu’il se trouve dans la maison de son Père, avec Abraham".
Le 31 janvier dernier, alors qu’il célébrait la fête de saint Jean Bosco, l’archevêque de Lahor Sebastian Shaw a annoncé que le Saint-Siège avait accepté Akash Bashir comme "serviteur de Dieu", soit la première étape de la procédure de béatification et de canonisation. Akash pourrait ainsi devenir le premier saint du Pakistan. Un événement qui, pour son père, "symbolise la force de la foi chrétienne dans notre pays."