Aux Jeux olympiques de Pékin, les médailles d’or sont une chose, qui alimentent les pages sportives. Mais un autre match se dispute en coulisse, politique cette fois-ci, qui opère le rapprochement entre Moscou et Pékin. On retiendra de ces JO d’hiver les exploits, les records battus et les médailles gagnées, mais d’ores et déjà ces Jeux signent le basculement du monde de l’Occident vers l’Orient. Alors que depuis leur création, les JO ont toujours manifesté la puissance de l’Occident, que ce soit en Europe d’abord puis aux États-Unis ensuite, ces jeux de Pékin marquent la réalité du basculement du monde.
Les erreurs américaines
Le boycott de la cérémonie d’ouverture par les États-Unis et leurs alliés n’a eu aucun impact politique, contrairement à ce qui s’était passé à Moscou en 1980. Certes les athlètes sont présents, ce qui est le plus important pour une compétition sportive, mais les États-Unis avaient-ils les moyens de boycotter totalement ces Jeux ? Vladimir Poutine était lui présent à la cérémonie d’ouverture et il opéra une nouvelle fois une rencontre avec Xi Jinping. Au cours de celle-ci, il a réaffirmé son opposition à l’élargissement de l’OTAN et a demandé aux États-Unis « d’abandonner cette approche idéologique issue de la Guerre froide ».
Si un front antichinois États-Unis/Japon se met en place, celui-ci doit désormais compter avec une alliance rapprochée entre la Chine et la Russie.
Poutine et Xi ont ensuite annoncé une nouvelle coopération entre leurs deux pays qui sera supérieure aux alliances politiques et militaires du temps de la Guerre froide. La politique de Nixon qui parvint à dissocier la Chine communiste de l’URSS soviétique semble loin. En installant l’OTAN aux portes de la Russie d’une part et en opérant un nouveau containment en mer de Chine d’autre part, les États-Unis ont contribué à favoriser le rapprochement des deux grands. Une erreur qui s’ajoute à celles commises depuis le début des années 2000 (Afghanistan, Irak, Syrie, Ukraine, etc.).
Les succès stratégiques américains se font de plus en plus rares. Pékin voit dans la défense de Taïwan par les Occidentaux la même politique d’ingérence que celle qui est pratiquée en Ukraine. Pour Pékin, Taïwan est chinois comme l’Ukraine est russe et l’OTAN provoque la guerre en Europe centrale comme l’AUKUS excite les tensions en mer de Chine. Une lecture parallèle qui n’est pas celle des États-Unis, mais qui sert les intérêts des deux grands et qui justifie leur rapprochement.
Alliance énergétique
Russie et Chine renforcent leur relation commerciale. La Russie fournit du pétrole et du gaz à la Chine, deux ressources essentielles dont manque l’empire du Milieu. Un récent accord commercial conclu avec Gazprom prévoit la construction d’un gazoduc pour relier directement la Chine et ainsi faire croître de plus de 25% la livraison de gaz à la Chine. Les deux pays se retrouvent aussi en Asie centrale, où se croisent Routes de la soie chinoise et influences russes, et où s’ouvrent de nouveaux marchés de l’énergie.
En 2018, les deux pays ont mené des exercices militaires conjoints. Alliance militaire poursuivie depuis lors. En octobre 2021, la marine russe et la marine chinoise ont conduit des patrouilles communes en mer du Japon. Moscou soutient Pékin dans son différent frontalier maritime avec la Corée du Sud et le Japon, d’autant que demeurent les revendications japonaises à l’égard des îles prises par la Russie en 1945. Un mois plus tard, en novembre 2021, ce sont les armées aériennes des deux pays qui ont cette fois réalisé des exercices militaires au-dessus de la mer du Japon et de la mer de Chine. Si un front antichinois États-Unis/Japon se met en place, celui-ci doit désormais compter avec une alliance rapprochée entre la Chine et la Russie.
Une ère nouvelle ?
Les JO de Pékin sont le moment symbolique où se retrouve l’ensemble de ces alliances et de ces rapprochements commencés il y a plusieurs années. Il y a bien des sujets de désaccords entre les deux pays, notamment l’emprise de plus en plus prégnante de la Chine sur les espaces sibériens mal contrôlés par les Russes. Les États-Unis comptent sur le fait que les dissensions historiques et géographiques existantes entre la Russie et la Chine finiront par l’emporter et que l’alliance des deux grands ne pourra pas durer. Mais force est de constater que ces Jeux ouvrent une ère nouvelle et inattendue : une partie du monde semble vouloir, et peut-être même pouvoir, se passer des États-Unis.