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Mon nom, mon choix ?

CARTE IDENTITE
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Laure de Saint-Pern - publié le 26/01/22
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Une proposition de loi propose de simplifier la procédure de changement de nom en privilégiant la satisfaction du désir individuel. Pour Laure de Saint-Pern, spécialiste du droit de la famille, on cherche à décorréler la famille et la figure du père.

À quelques jours de la fin de l’année 2021, une proposition de loi a été présentée par Patrick Vignal, député de l’Hérault (LREM) visant à « faciliter le changement de nom des enfants, notamment suite à un divorce ». Ce texte est examiné en première lecture à l’Assemblée nationale ce mercredi 26 janvier.

Il s’agit là d’une proposition de loi assez technique permettant par exemple d’accoler le nom de la mère au nom du père six mois après la déclaration de naissance (art. 3), ou après un divorce (art. 2). Cette proposition de loi permet encore d’inverser l’ordre alphabétique des deux noms portés par l’enfant (art. 1). Technique et assez pointue donc. Elle n’aurait pas attiré l’attention des médias si le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti n’y avait apporté son soutien dans une interview donnée au journal Elle. En effet, une proposition de loi est proposée par un député, non par le gouvernement — auquel cas il est question d’un projet de loi. Pourquoi donc le garde des Sceaux s’est-il emparé de cette proposition ? Pourquoi est-il même allé au-delà des termes de la proposition de loi elle-même ?

Un changement déjà possible

Dans cette interview, le ministre ajoute que, grâce à cette loi, « pour les majeurs, une fois dans sa vie, passé 18 ans, nous allons donner la liberté à chaque Français de pouvoir choisir son nom de famille pour garder celui de sa mère uniquement, celui de son père, ou les deux, dans le sens que l’on souhaitera ». Et de poursuivre : « Il suffira désormais d’une déclaration Cerfa à l’état civil de votre mairie. » Dès lors, le changement de nom ne serait plus qu’une simple modalité administrative, laissée à la volonté de chacun. 

À première vue, l’objectif paraît louable : permettre aux enfants dont le port du nom d’un parent abusif ou violent serait une concrétisation de la souffrance vécue, ou encore à ceux qui souhaiteraient valoriser le nom du parent qu’ils ne portent pas — celui de la mère le plus souvent — ou encore ceux qui souhaiteraient reprendre un nom qui risque de s’éteindre. Pourtant, l’article 61 du Code civil permettait déjà ce changement : « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom », parmi lesquels le port d’un nom perçu comme ridicule ou péjoratif, ou la volonté de la transmission d’un nom qui risquerait de s’éteindre. Mais, actuellement, la procédure de changement de nom est une procédure par décret. Cela signifie que l’on doit faire une demande de changement de nom auprès du ministère de la Justice. Le coût est minime (110 euros) et il n’est pas nécessaire de recourir aux services d’un avocat.

Privatiser l’état civil

Dès lors, pourquoi en changer ? Pragmatiquement, il est clair que le ministère de la Justice souhaite se débarrasser de cette mission et, sans doute, réaffecter les fonctionnaires concernés et faire une — relative — économie budgétaire. Symboliquement, la réforme est bien plus intéressante. Elle s’inscrit dans une dynamique de privatisation de l’état civil. En droit français, le principe est celui de l’indisponibilité de l’état civil, c’est-à-dire qu’il n’est pas à la libre disposition de chacun. L’État utilise l’état civil comme un outil d’identification de ses citoyens : nom, prénom, âge, nationalité, statut conjugal. Historiquement, il s’agissait d’ailleurs d’une sorte de fichier de police. C’est la raison pour laquelle il ne pouvait être modifié simplement, à la simple demande du citoyen.

De même, si l’on permet à l’un de choisir le nom de sa mère plutôt que celui de son père, qu’en sera-t-il de la fratrie ?

Mais ce principe a été progressivement fragilisé. La dernière fragilisation date de 2016 lorsque le législateur a simplifié le changement de prénom et de sexe à l’état civil. Justifiant d’un intérêt légitime, on peut faire une demande de changement de prénom auprès de sa mairie. Quant au changement de sexe, il fait toujours l’objet d’une demande judiciaire mais il n’est plus nécessaire de justifier d’une opération chirurgicale. La demande se fonde sur le ressenti de la personne : par exemple, elle se perçoit comme de sexe masculin et souhaite la correspondance entre ce ressenti et son état civil. La volonté individuelle, la souffrance personnelle et la reconnaissance sociale justifient ces changements. 

Le critère du ressenti

La réforme du nom de famille ne sera que le prolongement de celle de 2016. Chacun pourra désormais choisir unilatéralement de changer de nom. Bien sûr, le choix du nom s’avère limité : nom du père, nom de la mère ou nom des deux parents (qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel ou homosexuel bien sûr). Mais la dynamique est la suivante : je change si j’en ai envie, quand j’en ai envie ! Là encore, le garde des Sceaux nous prévient qu’il ne s’agira que d’un changement unique dans une vie. Mais pourquoi donc cette limitation ? Pourquoi donc la souffrance et l’émotion ne justifieraient-elles pas un nouveau changement au cours de sa vie ? Lorsque le critère est à ce point subjectif, lorsque le critère est le seul ressenti, comment celui-ci pourrait-il être restreint ? 

C’est une chose de permettre le port du nom de la mère dès la naissance, c’en est une autre d’autoriser l’effacement du nom du père, à tout moment, par simple déclaration administrative.

De même, si l’on permet à l’un de choisir le nom de sa mère plutôt que celui de son père, qu’en sera-t-il de la fratrie ? La réforme de 2002 — qui avait déjà permis de porter le nom du père, le nom de la mère ou le nom des deux parents — avait veillé à l’unité du nom dans la fratrie. Ici, il n’en est plus question. Comment donc vont s’y retrouver les généalogistes dans quelques années ? Ainsi, au nom de l’individualisme, de la satisfaction de la volonté individuelle, on déstructure à nouveau un pan du droit. Sans compter encore une fois la décorrélation entre la famille et la figure du père. C’est une chose de permettre le port du nom de la mère dès la naissance, c’en est une autre d’autoriser l’effacement du nom du père, à tout moment, par simple déclaration administrative. Là encore la symbolique est très forte : c’est la disparition du père qui est recherchée. Aussi, après avoir effacé le père de la conception de l’enfant, il s’agit désormais de le soustraire de la transmission séculaire du nom de famille. 

La loi n’est plus générale

Et demain ? Si le ressenti, l’émotion, la souffrance personnelle sont les justifications des changements à l’état civil, comment refuser le changement de date de naissance ou même de nationalité ? Si je me sens plus jeune et que je souffre de la mention de mon âge physique à l’état civil, pourquoi ne pourrais-je obtenir une modification de ma date de naissance ? Cela paraît exagéré mais certaines demandes en ce sens sont apparues dans les pays nordiques !

Ainsi, si cette réforme peut paraître minime à première vue, elle concrétise encore davantage la relativisation et la personnalisation de l’état civil. Et à plus forte raison, elle marque également que la loi n’est plus générale, elle n’est plus que particularisme.

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