Comme vous peut-être, j’ai sur mon téléphone quelques fils d’actualité renvoyant à des articles de presse qui changent toute la journée en fonction des événements, ainsi que les inévitables pastilles des grands journaux français, merveilleuse fabrique de la bien-pensance contemporaine avec surtout — palme toute catégorie pour sa capacité à produire des titres vous indiquant où sont le bien et le mal — les pastilles du journal Le Monde.
Un article de ce jour me rend un titre alléchant : « Qui est Roberta Metsola, la Maltaise anti-IVG, élue à la tête du Parlement européen ? » Au-dessus, un renvoi pour un article sur Jean-Jacques Bourdin avec une enquête sur de possibles agressions sexuelles et en dessous le mea culpa de Jean-Michel Blanquer pour ses vacances à Ibiza (sur la forme uniquement, pour le fond vous repasserez). Les journalistes ne parlent plus des chiens écrasés mais nous assènent toute la journée leur vertu écrasée. Car journaliste ne suffit plus, informer n’est pas suffisant : il faut être éditorialiste, avoir une pensée, des convictions et les asséner aux lecteurs car ils sont bien trop idiots, après avoir été dûment informés, pour avoir une réflexion personnelle libre. Les événements blessent leur conscience éveillée plus que toutes et ils doivent partager leur douleur afin que nous aussi nous soyons offusqués, ou alors nous sommes d’irrécupérables réactionnaires conservateurs binaires affublés d’une masculinité toxique (et qui se refuse à écrire en langage inclusif).
Le délit de la pensée
Morbleu ! me dis-je donc, une anti-IVG élue à la tête du Parlement européen ? Et puis j’imagine d’autres titres lesquels feraient scandale : « Qui est Alain Dubois, le député franc-maçon président de la commission Théodule ? » « Qui est Fabienne Dupont, skieuse amish qui a remporté les J.O. ? » Le délit de la pensée ou de la conviction n’est pas loin, le jugement subséquent non plus. Comme si une conviction, une appartenance philosophique et religieuse, suffisait à décrire une personne : l’on ne retient qu’un élément qui révèle plus la pensée du journaliste que la personnalité du sujet de l’article. Oui mais là il s’agit de la présidente du Parlement européen : certains pourraient s’inquiéter qu’à ce poste elle puisse faire passer ses idées personnelles.
Mais si je ne m’abuse, un président… préside. Il n’est là que pour coordonner les débats d’une assemblée démocratiquement élue qui seule est habilitée à voter des lois. Ces peurs journalistiques nous montrent en fait comment le régime présidentiel français, dans lequel le président ne préside pas mais gouverne, influence quotidiennement la pensée d’un pays. Notre monarchie républicaine n’est plus démocratique : tout se cristallise sur un seul homme, les députés sont élus après le président (alors qu’au moment du quinquennat il était prévu qu’ils fussent élus avant et non après lui). La France souffre d’un problème démocratique fondamental : l’assemblée n’est qu’une caisse enregistreuse des volontés du président, lequel président est entouré de « comités » et de « conseils ».
Le fait du prince
Une ligne parallèle de gouvernance s’est mise en place, laquelle ne s’appuie même plus sur la haute fonction publique qui est souvent mise de côté mais sur quelques experts et techniciens mandatés par la présidence et les ministres. D’ailleurs nous ne voyons plus à la télévision que des experts, des présidents de comités, des commissions qui décident quotidiennement de notre sort avec une succession de lois d’urgence sanitaires. L’Assemblée nationale vote, le Sénat résiste et le président gagne. Il n’est plus possible de répondre aux Français : « C’est la volonté du parlement, donc du peuple qui l’a élu », et ils sentent bien la confiscation de ce que la République leur avait vendu comme pouvoir du peuple par le peuple. Alors face à ce constat, l’on nous brandit la IVe République et les successions de gouvernements qui tombaient tous les six mois, empêchant une gestion saine et pérenne de la Nation.
Tout cela n’est que le produit d’un peuple qui a le sentiment que sa destinée lui échappe car elle est aux mains d’invisibles pouvoirs.
Je ne suis pas spécialiste en droit constitutionnel mais il me semblerait possible qu’on puisse tenir à la fois un régime démocratique avec des députés qui voteraient en conscience les lois et un gouvernement qui serait chargé de mettre en application lesdites lois. Sur quelle légitimité si ce n’est le fait du prince et de ceux qui l’entourent est fondée la succession de lois qui nous gouvernent ? L’on me répondra que c’est le fruit de la grande kermesse quinquennale au cours de laquelle on élit le président. Oui, il (ou elle) est démocratiquement élu, mais la belle affaire : on passe son temps à exclure les candidats plus qu’à les choisir et c’est merveille quand le président élu l’a été par 25% du premier tour grâce à un choix positif des électeurs.
Invisibles pouvoirs
Les conséquences sont visibles : Gilets jaunes, manifestations, grèves, irrespect de l’État, doutes systémiques et élaborations de « complots » ourdis par des puissances occultes qui nous manipuleraient. Tout cela n’est que le produit d’un peuple qui a le sentiment que sa destinée lui échappe car elle est aux mains d’invisibles pouvoirs. Je ne parle même pas de l’Europe tant les médias français, centrés sur l’hexagone, rendent opaque son fonctionnement, sa mission, la diversité qu’elle représente et donc rendent odieux les lois et décrets qu’elle produit. Vous l’aurez compris, j’aspire assez fortement à un changement de régime car après tout, je suis citoyen aussi et je crains un peu pour l’unité de notre nation.