À la fin de sa vie, saint Paul fait son examen de conscience. Toutes ses tribulations ont-elles détérioré sa confiance en Dieu ? Toute sa passion mise pour convaincre les mécréants ne s’est-elle pas édulcorée sur les murs de l’adversité et de l’indifférence ? Tout son talent mis au service de l’annonce de l’Évangile ne s’est-il pas tari en s’accoutumant à prêcher souvent dans le désert et en imputant ses échecs à la seule surdité du monde ? Au terme de son autocritique faite sous le regard décapant de son Créateur, Paul vérifie qu’il brûle toujours du même amour que celui qui l’a fait tomber de son cheval sur la route de Damas.
Sa foi est toujours une brûlure vivante : « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » écrit-il à un jeune ami appelé Timothée (2 Tm 4,7). Ne voyons aucun triomphalisme, ni aucune complaisance dans cette ultime confession de l'Apôtre. Voyons-y plutôt l’humble courage du témoin qui sait regarder sa vie en face et ne pas se mentir à soi-même ; voyons-y le témoignage éclairant de l’homme spirituel qui s’exerce à lire en lui les signes de la présence de l’Esprit.
Décrypter les signes des temps
Devons-nous comme Paul attendre le terme de notre pèlerinage terrestre pour tester notre foi devant le grand miroir de la fidélité ? Je ne le crois pas. Le pape François a reçu cette semaine au Vatican une quarantaine de délégués français de mouvements d’Action catholique. La relecture ou révision de vie est un pilier de leur spiritualité, de leur mystique, de leur engagement dans la société. Elle se décline en trois verbes indissociables, Voir-Juger-Agir. Cette méthodologie a été préconisée par Joseph Cardijn, le fondateur de la Jeunesse ouvrière chrétienne (J. O. C.).
Son but n’est pas de définir une doctrine encore moins une idéologie. Elle vise à former des jeunes chrétiens au discernement de la présence de Dieu dans leur vie, sur leur lieu de travail, dans la société et dans le monde. Cette démarche aide à relier sans interruption la foi à la vie. À ne jamais séparer ce que le Christ a réuni par son Incarnation et qui fonde notre double citoyenneté, céleste et terrestre, si finement évoquée, et bien avant nos temps modernes, par la lettre célèbre d’un auteur anonyme de l’Antiquité chrétienne.
Qui ne voit honnêtement que ce décryptage des « signes des temps », puissamment recommandé par le concile Vatican II, demeure une nécessité brûlante alors que les lignes s’obscurcissent à l’horizon de notre histoire et que la confusion des esprits paraît se généraliser et paralyser tout effort sérieux de rationalité et d’espérance ?
Pratiquer l’autocritique
Enfin, la discipline paulinienne nous interroge aussi sur la justesse des combats que nous menons en notre qualité de chrétiens ? Menons-nous les bons combats ? Et utilisons-nous les bons moyens ? Par exemple : est-il bien raisonnable que nous épuisions nos énergies dans une sempiternelle querelle franco-française de rites liturgiques, alors que tout l’Évangile nous instruit que la seule terre sacrée à honorer, servir et défendre, c’est la personne humaine, et en priorité celle dont la dignité est menacée ? Notre Maison commune s’embrase, attisée par des vents mauvais qui n’augurent pas l’avènement d’une « civilisation de l’amour ». Les catholiques ne donnent-ils pas trop l’air parfois de regarder ailleurs ? « Je compte sur la profondeur d’âme des citoyens, des chrétiens notamment, pour qu’ils ne se “ponce-pilatisent” pas et ne demeurent pas inactifs devant les périls qui nous guettent : la haine de l’autre et de l’étranger » confie l’acteur Francis Huster, dans l’hebdomadaire Le Pèlerin de cette semaine.
Notre trajectoire chrétienne, en ces temps incertains, est-elle comme celle de saint Paul aiguillonnée par l’Esprit saint ? Pour s’en assurer, il faut pratiquer l’autocritique comme lui : questionner notre cohérence de vie, réexaminer notre échelle de valeurs, identifier nos priorités et nous demander sans faux-semblant : est-ce que nous menons les bons combats ? Notre consolation, notre encouragement se trouvent dans les Écritures : elles nous enseignent qu’il n’est jamais trop tard pour faire notre chemin de Damas.