Beaucoup me demandent qui sera le prochain archevêque de Paris. Je réponds, amusé, que n’étant pas le Pape, je n’en sais absolument rien et que je ne suis pas sûr qu’il le sache lui-même encore. Le processus de nomination passe par la nonciature apostolique avec la fameuse terna, ces trois noms proposés au Saint-Père pour les potentiels candidats et parmi lesquels il en choisit un. Encore faut-il que ces candidats acceptent car, comme l’on dit souvent au sujet de ceux qui prétendent à l’épiscopat : il y a ceux que l’on pousse, ceux qui se poussent et ceux que l’on repousse. L’appétence pour l’épiscopat n’est pas en soi une faute, dans la mesure où il vaut mieux avoir du goût pour le métier que l’on choisit et entre celui qui veut être évêque parce ce qu’il aime cela et qu’il a des idées, et celui qui irait à ce ministère avec la corde au cou et en pleurant, je préfère encore la première proposition. Dieu aime qui donne avec joie.
Une question de recrutement
N’étant donc pas le Pape je n’ai pas idée de qui sera le futur archevêque de Paris mais cela ne m’empêche pas d’avoir des idées : ce n’est pas parce qu’on ne me demande pas mon avis que cela m’empêche de le donner. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la liberté de parole est présente dans l’Église, à condition de s’en servir ailleurs qu’en chuchotant auprès d’oreilles complaisantes entre les boiseries cirées des sacristies ou dans des soirées mondaines auprès de journalistes qui envoient dès le lendemain leurs photographes avec de gros téléobjectifs. Mais passons…
Peu importe le métier, il nous faut discerner une adéquation entre l’emploi proposé [...] et un candidat avec ses compétences et ses limites.
La question du recrutement se pose quotidiennement, depuis la baby-sitter jusqu’au chef d’entreprise. Peu importe le métier, il nous faut discerner une adéquation entre l’emploi proposé, que l’on essaye de qualifier dans des fiches de poste plus ou moins précises, et un candidat avec ses compétences et ses limites. Le salaire est souvent le critère qui permet d’accéder au niveau de compétence ou de disponibilité souhaitées pour un poste particulier. Les revendications dans la restauration le montrent bien en ce moment. Mais il est aussi des métiers ou des fonctions pour lesquelles le salaire ne compte pas, comme chef d’État ou évêque. L’appétit pour la fonction ou son prestige suffisent à payer le candidat. Pour un évêque, son traitement reste celui d’un prêtre lambda. Il faudra recruter sans user de cet aspect parmi des personnes dont on présume les compétences pour la fonction. Il faut donc qu’elles soient nombreuses pour avoir le choix du plus parfait candidat, nombreuses à le vouloir, nombreuses à le pouvoir. Mais quelles seraient ces compétences requises ?
La capacité de discernement
Si la légitimité d’un élu vient de la majorité démocratique, la légitimité d’un évêque vient de sa nomination par le Saint-Père. Certains réclament des consultations auprès des laïcs et des prêtres pour établir le profil type du futur archevêque avant une quelconque nomination : je crains que ces consultations ne donnent qu’un profil bien fade qui aura toutes les qualités du monde — ce qui n’arrive jamais — et qui sera prisonnier de ce profil et donc décevant pour finir. Il est inutile de dresser une liste impressionnante de qualités diverses mais l’on peut dégager des lignes de force et de principe nécessaires. Souvent nous pensons à une capacité d’agir pour un recrutement. Capacité de faire ou de faire faire, capacité de mettre en place de nouveaux projets, de les mener à bien, de coordonner des actions. Notre société économiste du profit déteint sur toutes les réalités et nous considérons que seule l’action est nécessaire, même dans l’Église. Nous avons tous loué le dynamisme de tel ou tel jeune prêtre, les projets qu’il initie et mène à bien, sa présence effective et aimante. C’est une grande joie pour les communautés de voir des pasteurs qui agissent et se donnent. Simplement dans l’Église, l’action est d’abord celle de l’Esprit Saint et le pasteur est au service de cette action de l’Esprit. C’est sûr que s’il ne fait rien, l’Esprit Saint aura du mal à agir tout seul, même s’il peut tout, mais il faut avant tout discerner l’Esprit.
L’action ne suffit pas : il ne s’agit pas tant de savoir agir, ce que l’on peut présumer de tout clerc un peu consciencieux, mais de savoir réagir. La question de la capacité de discernement est première. Discerner les situations, discerner les personnes, savoir réagir aux problèmes qui se posent, discerner ce qui compte vraiment sous le regard de Dieu, discerner les signes des temps d’une société et y répondre adéquatement, avec mesure et prudence. La sagesse prime sur la capacité d’action et là où, trop rapidement, de jeunes loups sont prompts à condamner les gérontocraties, il faut nous rendre compte que cette sagesse s’acquiert d’abord avec le temps et l’expérience. "Malheur à toi, pays dont le roi n’est qu’un enfant", dit l’Ecclésiaste (10,16). Il faut trouver le parfait croisement des courbes entre capacité de discernement et capacité d’action, la première pouvant croître avec l’âge, la seconde baissant parfois. Mais entre une baby-sitter qui sait jouer avec les enfants et celle qui saura réagir de façon opportune en cas de problème, je choisis la seconde.
Avoir un œil neuf
Pour discerner, il faut aussi avoir un œil neuf et libre. La sagesse de l’Église l’a compris depuis longtemps en nommant des évêques qui ne sont pas originaires du diocèse dont ils reçoivent la charge. Il serait souhaitable que le futur archevêque de Paris ne soit pas parisien. Oh ! certes, il devra souffrir des regards compatissants de ce clergé "si instruit, si délicat" comme l’écrit Bernanos, surtout s’il a un petit accent chantant comme le cardinal Marty, mais il aura la liberté de s’étonner de ce que nous ne voyons plus. "Iris est fille de Thaumas" écrit Platon dans le Théétète : la sagesse vient de l’étonnement et pour pouvoir s’étonner, il ne faut pas avoir un œil trop habitué. Mais que Monseigneur le nonce ne s’inquiète pas : le clergé de Paris a de nombreux défauts mais il est légitimiste et il obéit, en râlant, mais il obéit. Tout cela ne donne pas un nom mais cela tombe bien : on ne m’en demande pas ! Je ferai comme j’ai fait avec tout évêque depuis le cardinal Lustiger qui m’avait ordonné, je lui renouvellerai ma promesse de respect filial et d’obéissance, dans la paix.
Sainte année 2022, sous le regard de la bienheureuse Vierge Marie, Notre Dame, qui méditait tout cela en son cœur.