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Michel Rouche, grand historien parce que vrai chrétien

Michel ROUCHE
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Jean Duchesne - publié le 11/12/21
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Notre chroniqueur, exécuteur littéraire du cardinal Jean-Marie Lustiger, rend hommage à l’historien Michel Rouche, qui fut l’un de ses disciples. Grand spécialiste de Clovis et de l’histoire du mariage, l’historien fut aussi le fondateur de l’Institut de la Famille à l’École Cathédrale.

Dans le tumulte et le désarroi engendrés par l’actualité de ces derniers temps, une triste nouvelle incite à l’action de grâce : Michel Rouche nous a quittés, dans sa quatre-vingt-huitième année. Il était connu comme historien faisant autorité sur le premier millénaire de l’ère chrétienne, où tant de réalités encore vives aujourd’hui se sont nouées. Mais avec son épouse, Monique, il a été aussi un témoin éloquent du bonheur de la vie de couple que l’enseignement de l’Église a promu et continue de proposer.

Le meilleur spécialiste de Clovis

Agrégé d’histoire en 1959, il enseigne en lycée et poursuit des recherches sur la fin de l’Antiquité, l’évangélisation en Europe et les premiers royaumes « barbares », notamment celui des Wisigoths, qui contrôleront une bonne partie du sud de la France actuelle au Ve siècle et règneront en Espagne jusqu’à la conquête musulmane au début du VIIIe. Il soutient sa thèse de doctorat en 1976 et sera professeur à Lille, à l’Institut catholique de Paris et finalement à la Sorbonne.

Il devient un spécialiste de Clovis, le roi franc qui a refoulé les Wisigoths dans la péninsule ibérique et transforme la Gaule en ce qui deviendra la France. En 1996, au moment du quinzième centenaire du baptême du fondateur de la dynastie mérovingienne, c’est Michel Rouche qui établit la réalité historique qui peut servir aux commémorations, par-delà les images, légendes et mythes véhiculés dans le roman national sécularisé depuis le XIXe siècle. Il rectifie également les idées reçues sur Charlemagne et l’affrontement avec l’islam (la lutte contre le paganisme au nord et à l’est est longtemps prioritaire), ainsi que sur les composantes romaines, germaniques et chrétiennes de la culture européenne qui prend forme pendant tout le Moyen Âge.

Les dangers de l’arianisme

Il est un des premiers depuis Newman à montrer à quel danger l’Europe a échappé, grâce à la conversion de Clovis à la foi catholique orthodoxe de son épouse Clotilde et de saint Rémi, en résistant à l’arianisme des Wisigoths, Ostrogoths et autres Burgondes. En effet, si le Christ n’est pas Dieu, comme le soutiennent les ariens, mais un élu doté de pouvoirs divins, tout souverain temporel peut se déclarer son successeur directement choisi par Dieu. Là se trouve au fond l’origine ou la justification de maints conflits et violences systématiques jusqu’à l’an mil et même des totalitarismes à l’époque contemporaine.

Indépendamment de ses travaux universitaires, il s’est ainsi employé, en étroite et active communion avec son épouse Monique à partager la foi...

L’absolutisme a bien existé dans l’Antiquité préchrétienne, mais l’empereur n’était qu’un dieu parmi quantité d’autres — et encore, seulement une fois mort. L’autocrate arien, au contraire, comme il n’a pas à passer par le Christ et ne croit pas que l’Esprit soit Dieu, estime détenir son pouvoir sans limite du Dieu unique et tout-puissant, sans intermédiaire. Dans cette perspective, Hitler, Staline, Mao and Co apparaissent comme des ariens athées, l’idéologie remplaçant la théologie. C’est la Trinité du Credo nicéen qui, avec sa mystique paradoxale où la Vie plus forte que la mort consiste à se donner et non à prendre, retient le monothéisme, reçu par les païens du judaïsme via l’Évangile, d’être absorbé et exploité dans l’idolâtrie de la loi du plus fort.

La foi jusque dans la vie quotidienne

Michel Rouche s’est également intéressé à la vie sociale et familiale du premier millénaire et du Moyen Âge, à l’enseignement et à l’éducation, au mariage et à la sexualité. Et ses contributions dans ce domaine ne sont pas moins décisives : elles montrent comment le christianisme a transformé les relations entre l’homme et la femme, en leur conférant une dimension transcendante, où l’épouse est l’égale de son mari parce que l’union suppose la liberté de l’engagement réciproque et une fidélité à l’image de celle de Dieu qui se donne sans reprendre et rend capable de faire de même.

Disciple du Père Maxime Charles et de son adjoint et successeur le père Jean-Marie Lustiger au Centre Richelieu — l’aumônerie de la Sorbonne —, Michel Rouche ne s’est pas contenté d’étudier l’impact du christianisme dans l’histoire. En chercheur méticuleux et toujours critique aussi bien des sources que de leurs interprétations antérieures, il n’a rien caché de tentations et déviations qui demeurent instructives. Il n’a donc pas idéalisé ce passé et encore moins fait de Clovis un saint. Mais l’intelligence qu’il avait de la foi pour en vivre personnellement lui a permis de faire comprendre, sans apologétique, le rôle qu’elle a joué de fait et que la démographie, l’économie, les ambitions humaines et les acquis culturels ne suffisent pas à expliquer.

Les équipes Notre-Dame et l’École cathédrale

Indépendamment de ses travaux universitaires, il s’est ainsi employé, en étroite et active communion avec son épouse Monique (plus réticente vis-à-vis des méthodes du Centre Richelieu), à partager la foi qu’ils savaient n’être pas seulement la leur, mais celle de l’Église et en conséquence un don supplémentaire de Dieu. Ils se sont impliqués dans les Équipes Notre-Dame, fondées juste avant la Seconde Guerre mondiale par le P. Henri Caffarel (1903-1996), pour lequel une procédure de béatification a été ouverte et qui a déjà été reconnu « serviteur de Dieu » par la Congrégation pour les causes des saints. Il s’agit de permettre aux couples de progresser spirituellement ensemble et avec d’autres, avec l’aide d’un prêtre, au travers des épreuves « des travaux et des jours ».

Quand le père Lustiger, devenu archevêque de Paris, a fondé en 1984 l’École Cathédrale, centre diocésain de formation pour les laïcs, Michel et Monique Rouche ont été chargés d’y créer et animer un Institut de la Famille. Celui-ci existe toujours dans le cadre désormais du Collège des Bernardins, et offre des sessions d’information et de réflexion sur l’amour humain, les fiançailles, le mariage, les naissances, l’éducation, la vie de couple au quotidien, la sexualité sous tous ses aspects, la mission des grands-parents, le droit qui s’applique dans tous ces domaines, etc. 

La revue Alliance

Ils ont aussi édité pendant vingt-cinq ans plus de 150 numéros de la revue Alliance. Des articles d’experts compétents sur tous ces sujets liés à la famille (philosophes, sociologues, psychologues, économistes, juristes, scientifiques et pas uniquement théologiens) ont fait connaître plus largement encore (et sans moralisme !) les ressources de la fidélité catholique qui n’ignore pas et méprise encore moins les avancées des connaissances et des techniques, les nouveautés de la culture ambiante et l’évolution des mœurs.

Restera dans la mémoire qui nourrit la gratitude le sourire malicieux de Michel Rouche sous ses cheveux en brosse d’éternel jeune homme. Ses yeux plissés dans l’acuité du regard sans que les sourcils se froncent nous invitent toujours à aiguiser le nôtre sans craindre d’agresser ni d’être contesté.

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