Je fais partie du petit nombre de ceux qui ont regardé, le 16 août dernier sur la chaîne C8, le film Unplanned, récit d’une histoire d’avortement à travers le quotidien d’une clinique spécialisée. Ce film à diffusion confidentielle souleva cet été des vagues gigantesques de protestation. Des journalistes, des associations, des ministres en exercice et d’autres qui ne l’étaient plus — ou pas encore — ont dénoncé une abjection. Des journaux ont parlé de scandale. Les anonymes des réseaux sociaux ont crié au fascisme. L’abjection, le scandale, le fascisme sont des mots qu’on entend plus souvent qu’à notre tour, quand il est question d’avortement.
L’espérance, une révélation intolérable
De quelle abjection, de quel scandale, de quel fascisme s’agissait-il ? Avouons-le, le film en question n’était pas un chef-d’œuvre cinématographique. Il poursuivait un objectif militant, illustrer les arguments « pro- vie », avec cette économie de subtilité qui est souvent la marque des réalisateurs d’outre-Atlantique. Bref, il allait droit au but. Il ne présentait pas l’avortement comme un plaisir : il le montrait tel qu’il est. Il dévoilait crûment ce que notre société préfère laisser dans l’ombre : la disparition d’une vie en train d’éclore, la souffrance d’une femme, la culpabilité, le refoulement, la solitude, la violence cachée et, finalement, un chemin de conversion, de rédemption et d’espérance.
L’espérance ! C’est beaucoup, l’espérance. C’est trop ! Et c’est ainsi qu’un film sans audimat peut susciter l’indignation de milliers de gens qui ne l’ont pas vu. La petite fille espérance est sans doute la révélation la plus intolérable de ce film aux yeux des zélateurs d’une civilisation de mort. L’idée qu’un pardon est possible est un démenti insupportable au mal qui voudrait gouverner le monde, ce mal très introduit dans nos médias, ce Mal qui est Quelqu’un. Mais la foule, comme d’habitude, ayant hurlé avec ce Quelqu’un, ayant réclamé la mort du cinéaste et la censure de C8, avait hâte de passer à autre chose, car c’était le mois d’août. Plus personne ne parlait d’Unplanned depuis cet été. La page était tournée.
De la cohérence
Voici donc que le CSA, saisi à chaud d’un signalement, finit par se prononcer à froid sur la liberté d’expression. Il vient enfin de rendre son avis sur la programmation du film. La lenteur n’est pas une garantie de sagesse, mais elle peut en donner l’apparence. Le Conseil, dans un document publié le 28 octobre, considère que le film Unplanned n’était pas de nature à troubler l’ordre public. Mais le Conseil ajoute qu’il n’aurait pas dû être diffusé en début de soirée, et il met en garde la chaîne C8 qui l’avait programmé à 21 heures. Erreur en deçà de 21 heures, vérité au-delà de 22 heures : tel est le résultat de dix semaines de réflexion du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ce jugement embarrassé ne devrait satisfaire personne.
Le CSA joue une partie compliquée avec la liberté. Son président Roch-Olivier Maistre, qui n’est pas un homme médiocre, le sait bien, quand il affirme que le conseil a pour mission de défendre la liberté d’expression et non pas de dire ce qui est vrai et ce qui est faux. Il sait aussi que la vraie censure, arbitraire, haineuse, morale, ce sont les réseaux sociaux qui s’en chargent : la main invisible des GAFA peut interdire de Facebook et Twitter un ancien président des États-Unis, avant d’en censurer d’autres. Face à cela, la casuistique de notre CSA ne fait pas peur à grand monde. Ne demandons pas l’impossible au CSA : mais demandons-lui au moins de la cohérence. Pourquoi tolérer la pornographie à portée des enfants et s’effrayer d’un film qui, en présentant sans fard l’abjection ordinaire de l’IVG, voudrait éveiller les consciences ?