Si la rencontre est historique, les enjeux sont cruciaux. L’échange prévu entre Narendra Modi, le Premier ministre indien, et le pape François ce samedi 30 octobre au Vatican s’inscrit dans un contexte de montée des violences envers les minorités religieuses en Inde. Selon des responsables religieux, la discrimination et les violences contre les minorités religieuses en Inde, où les hindous sont majoritaires, sont en hausse continue depuis l'accession au pouvoir en 2014 du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi. Les deux principales minorités régulièrement persécutées sont les musulmans (qui représentent 14% de la population) et les chrétiens, qui représentent un peu plus de 2%.
Dans son rapport sur la liberté religieuse publié en 2020, l’Aide à l’Église en détresse (AED) a estimé que les chrétiens étaient persécutés en Inde. Selon leur étude, le principal moteur de la persécution dans la péninsule est la montée du "nationalisme ethnoreligieux". Prônant la défense de "l’hindouité" – l’Hindutva –, le parti du Premier ministre, le BJP, a multiplié les gestes d’hostilités envers certains membres de la population chrétienne indienne ces dernières années. Entre le 1er janvier et le 30 juin 2020, l’organisation œcuménique Persecution Relief a estimé que les violences contre la minorité chrétienne en Inde ont progressé de plus de 40% en seulement six mois.
Treize incidents antichrétiens en une seule journée
Et la tendance n’est pas prête de s’inverser. Fin juillet 2021, l’hôpital catholique de l’État du Bihar, dans l’est de l’Inde, a été contraint de fermer ses portes après une attaque. Quelques jours plus tard, cinq familles chrétiennes ont été contraintes de fuir leur village de Lodamila, toujours dans l’est de l’Inde, en raison de leur foi. Pour le seul dimanche 3 octobre au moins 13 incidents antichrétiens (interruption violente du culte, détentions sur la base de faux témoignages, agression de fidèles…) ont été enregistrés. Deux semaines après, plusieurs religieuses et une cinquantaine de fidèles ont été attaqués par un groupe d’extrémistes hindous dans l’État d’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde.
La dernière inquiétude en date provient du Karnataka, État indien situé dans le sud-ouest du pays, où les Églises chrétiennes s’inquiètent du profilage des missionnaires et du personnel employé par les Églises que le gouvernement a récemment commandé. Les responsables des différentes Églises voient dans cette enquête un élément d’un plan plus vaste promu par le BJP qui vise à mettre en œuvre un programme politique pro-hindou marginalisant les différentes minorités religieuses, dont les chrétiens. Huit États indiens ont en ce sens déjà adopté des lois spécifiques interdisant les conversions religieuses. Ces lois, notent les Églises, vont à l’encontre de l’esprit de la Constitution indienne qui accorde la liberté de prêcher, de pratiquer et de professer sa religion.
L'Inde, l'un des prochains voyages du Pape ?
En 2020 la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale avait classé l’Inde dans la liste des "pays particulièrement préoccupants", pour la première fois depuis 2004. Mais le gouvernement Modi se défend de privilégier les hindous et assure que les droits sont les mêmes pour toutes les religions. Des propos qui, s’ils ne résistent pas à l’épreuve des faits, devraient être largement discutés avec le pape François ce samedi.
Le Saint-Siège pourrait néanmoins profiter de la visite de Modi pour capitaliser sur une des rares ouvertures faites par ce dernier : la perspective d’un voyage en Inde. En janvier 2021, le Premier ministre avait confié à des cardinaux indiens qu’il comptait envoyer une invitation officielle au pontife, ce qu’il avait longtemps refusé, notamment lorsque le Pape aurait pu venir en Inde en 2017 lors d’un déplacement dans la région.
Les hindous et les chrétiens peuvent être une "lumière dans la vie des gens à travers la solidarité interreligieuse", en particulier "en ces temps difficiles", a déclaré le cardinal Miguel Ángel Ayuzo Guixot, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à la veille de la rencontre entre les deux hommes. "Nous avons la capacité de témoigner que nous pouvons être “ensemble” et que nous pouvons surmonter ainsi chaque crise avec détermination et amour, même ce qui semble apparemment impossible", a-t-il ainsi précisé, appelant les autres chefs religieux et communautaires à "nourrir l’esprit de fraternité parmi leurs fidèles", spécialement lors des crises et catastrophes.