« Dans toutes les formes de catéchèse, enseigner aux fidèles, et, en particulier, aux plus jeunes et aux adolescents, l’exercice de la conscience critique en toutes circonstances », recommande la Ciase. Tentons de prouver que nous avons été bien formés et prenons-la au mot. En laïc invité à s’exprimer plus souvent, soumettons son rapport lui-même à l’esprit critique demandé. Peut-être est-ce même la meilleure façon de le prendre au sérieux et de lui donner toute l’attention qu’il mérite. Disputer en vérité vaut mieux que faire profil bas par calcul ou par soumission.
Le rapport de la Ciase, œuvre libératrice et très utile en bien des points, révèle hélas une légère tendance à mêler aux recommandations légitimes des opinions dictées par l’esprit du temps ou, plus précisément, par une frange des catholiques qui a rêvé de révolutionner l’Eglise dans les années soixante et reprend soudain du poil de la bête. Il y a plus d’un an, l’historien Fabrice Bouthillon, dans un article un peu provocateur, mais suffisamment fondé en raison pour être accueilli par la très modérée revue Commentaire, résumait les arrière-pensées de cette frange partisane ainsi : « S’il y a des pédophiles, c’est, pêle-mêle, parce que la morale sexuelle de l’Église est trop rigide ; parce que le pouvoir en son sein vient trop exclusivement du sommet et pas assez de la base ; parce que les femmes ne peuvent pas être ordonnées prêtres ; parce que les laïcs ne sont pas écoutés ; parce que les prêtres ne peuvent pas se marier. » Fabrice Bouthillon mettait donc par avance en garde contre un détournement militant des drames individuels et des silences ecclésiaux.
Elles pointent seulement du doigt le risque de transformation du rapport de la Ciase en une sorte de magistère laïc de substitution.
On peut se réjouir que la Ciase, dans sa sagesse, n’ait pas repris à son compte la totalité de cette litanie dénoncée par Bouthillon. On a même assisté à un authentique moment de grâce, lorsque Jean-Marc Sauvé a expliqué posément sur France Inter que le célibat des prêtres n’avait aucun lien avec la pédophilie. Néanmoins, le rapport laisse place à quelques pistes un peu anachroniques, qui donnent déjà des arguments à des commentateurs mal intentionnés. Ainsi, la recommandation n° 11 demande de passer au crible « ce que l’excès paradoxal de fixation de la morale catholique sur les questions sexuelles peut avoir de contre-productif en matière de lutte contre les abus sexuels ». Peut-on honnêtement prétendre que c’est de sexe que parlent majoritairement les prêtres français d’aujourd’hui dans leurs homélies ou dans leurs catéchèses ? On voit combien la remarque peut être aisément utilisée pour discréditer un peu plus tout discours sur la maîtrise de soi, voire sur l’anthropologie chrétienne.
On ressent la même impression devant la recommandation n° 4 qui appelle à « évaluer, pour l’Église de France, les perspectives ouvertes par le synode sur l’Amazonie, en particulier la demande que soient ordonnés des hommes mariés ». Puisqu’il est admis que le célibat sacerdotal n’est en rien responsable de la pédocriminalité, qu’est-ce qui justifie ce conseil ? L’idée est manifestement de mettre fin à l’aura supposée du prêtre, qui faciliterait ses abus. Que cette aura, accentuée par le célibat, ait joué dans le passé est une chose. Que le soupçon garde une quelconque actualité en est une autre. Jean-Marie Gueullette, dans un beau livre sur la chasteté des prêtres et des religieux, hélas ignoré de la bibliographie de la Ciase, écrivait avec nettement plus de lucidité : « Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : il reste absurde de rester célibataire au nom d’une foi qui n’est plus partagée et sans pour autant avoir la liberté de cet état de vie » (La Vie en abondance, Cerf, 2019). On peut en effet douter que le monde actuel survalorise la virginité.
La Ciase met également en garde contre un catéchisme qui ferait des enfants de simples « récepteurs de la doctrine » (p. 49). On ne sait quelle paroisse ont fréquenté ceux qui écrivent cela, mais l’anachronisme est une fois de plus manifeste, dans un monde de la crise généralisée de la transmission.
Il va de soi que ces remarques n’ôtent rien ni à l’ampleur des crimes, ni à la nécessité de tout mettre en œuvre pour endiguer le mal. Elles pointent seulement du doigt le risque de transformation du rapport de la Ciase en une sorte de magistère laïc de substitution. Certains media le brandissent déjà contre tout ce qui, dans l’Église, continue à ne pas s’agenouiller devant toutes ses recommandations. . Soyons plus intelligents et plus honnêtes qu’eux. Lisons le rapport si nécessaire de la Ciase, en évitant autant l’adhésion béate que le rejet défensif monolithique. Cela s’appelle précisément faire preuve d’esprit critique.