Parmi les passions qui agitent le cœur humain, l’envie est l’une des plus puissantes. Une personne possède-t-elle une belle maison confortable, bien située, suffisamment grande pour que toute sa famille y vive à l’aise, il suffit qu’un voisin en possède une plus belle, plus confortable, plus grande, mieux située, pour que le poison de l’envie s’insinue. La voilà qui se sent humiliée et finit par trouver sa propre maison moche, inconfortable, mal située et trop petite.
La comparaison a transformé son regard et fait naître l’insatisfaction. Quelqu’un occupe-t-il un bon poste dans une entreprise, il réussit dans son travail et s’y épanouit, il suffit qu’un collègue reçoive une promotion, pour qu’il ressente la morsure de la jalousie. L’amertume le gagne. Il se sent maltraité, il pense n’être pas reconnu à sa juste valeur, il ne voit pas ce que l’autre avait de plus que lui.
Dans l’Évangile de ce 29e dimanche ordinaire, les Douze sont agités par de semblables sentiments. Leur unité est menacée par l’esprit de rivalité. Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, manœuvrent pour occuper les deux premières places dans le règne de Dieu annoncé par Jésus. Mais ils le comprennent de manière humaine. Ils imaginent une montée triomphante sur Jérusalem, une victoire éclatante contre les Romains suivie de la restauration du royaume d’Israël dont Jésus sera le roi. Ce nouveau royaume brillera d’une gloire égale, sinon plus grande, qu’aux jours anciens de David et de Salomon.
Ils rêvent d’être les grands de ce royaume à venir. Ils veulent exercer le pouvoir. Ils se comportent comme des courtisans ambitieux. Les dix autres s’indignent contre les deux frères. Eux aussi ambitionnent des places. Ils ne veulent pas se faire doubler. La jalousie commence à faire son œuvre de division. Le diable — le diviseur — se frotte les mains.
La situation est grave. Jésus réagit avec vigueur. Remarquons la manière dont il s’y prend. Il ne fait pas la morale à ses disciples : il les met face à son propre mystère, celui du salut par la Croix. Les paroles qu’il prononce sont une révélation. La coupe qu’il va boire, le baptême dans lequel il va être plongé, signifient les souffrances de sa Passion et sa mort sur la Croix — mort ignominieuse aux yeux des hommes, glorieuse aux yeux de Dieu. Jésus n’est pas venu pour être un roi à la manière du monde, entouré de serviteurs et régnant sur des sujets. Il "n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude" (Mc 10, 45).
La loi du Christ est résumée par le double et unique commandement d’aimer Dieu et son prochain.
Les disciples sont appelés à conformer leur existence à celle de leur Seigneur. Être chrétien c’est suivre Jésus, c’est le prendre pour modèle (il est significatif que le livre de spiritualité le plus célèbre, le plus médité, s’appelle l’Imitation de Jésus-Christ). Jésus est en personne la Loi que nous nous efforçons de vivre. Nous le pouvons grâce au don de l’Esprit qui éclaire notre conscience sur le bien que nous avons à faire et qui fortifie notre volonté pour l’accomplir. La loi du Christ est résumée par le double et unique commandement d’aimer Dieu et son prochain. Aimer comme le Christ a aimé. Le commandement de l’amour intègre les préceptes et les interdits de dix commandements. Il les dépasse en les accomplissant parfaitement. Celui qui aime comme le Christ aime, a parfaitement accompli la volonté de Dieu.
La question du pouvoir se pose dans toute société humaine, des plus vastes (un État) aux plus petites (la famille). Elle se pose aussi dans l’Église. Jésus oppose la manière d’exercer le pouvoir dans les nations païennes à ce qui doit être la règle parmi ses disciples. Les chefs des nations "commandent en maître", ils exercent une domination, ils assurent leur pouvoir en écrasant ceux qui leur sont soumis, ils tirent une gloire personnelle de leur rang. Au contraire, dans l’Église, l’exercice du pouvoir est un service du bien de la communauté. Aux yeux de Dieu, le plus grand n’est pas celui qui se hisse au-dessus des autres et réclame des honneurs, mais celui qui se fait le serviteur de tous, et n’attend rien pour soi — à l’image de Jésus qui donne sa vie.
Cela ne veut pas dire qu’un disciple de Jésus devrait refuser les postes de direction dans la société ou dans l’Église. Ce serait de la fausse humilité et une fuite devant les responsabilités. Mais il doit se garder de la recherche et de l’amour du pouvoir pour lui-même. Qui est appelé à un poste de responsabilité veillera à ne pas se croire au-dessus des autres, même revêtu de l’autorité et disposant des pouvoirs nécessaires pour exercer son service. Le sain exercice du pouvoir n’est pas solitaire. Il suppose l’écoute, le débat. Il accepte les remises en cause et les critiques. Il respecte le droit. L’exercice collégial du pouvoir est une bonne chose, même si, en fin de compte, surtout en cas d’ennuis, c’est une seule personne qui assume la responsabilité de ce qui a été décidé et fait. Le pouvoir est aussi un risque assumé.
Gardons devant les yeux le Christ, notre Seigneur. Pourquoi ne pas avoir chez soi, bien visible, ou même sur soi, une image de Jésus qui lave les pieds de ses disciples, ou de Jésus sur la Croix, serviteur souffrant qui donne sa vie par amour pour nous ? Cela nous aiderait à lutter contre les pensées d’envie et de jalousie et à écarter la tentation d’exercer un pouvoir — quel qu’il soit — sur autrui pour la seule jouissance du pouvoir.