L’éducation dite traditionnelle serait responsable des violences faites aux femmes. Et au passage, des inégalités professionnelles et économiques entre les femmes et les hommes. Un raccourci sommaire, développé tout au long des 119 pages du rapport parlementaire sur les stéréotypes de genre, rédigé par les députés Gaël Le Bohec et Karine Lebon au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Les députés n’y vont pas par quatre chemins : « Si l’on veut résoudre de manière durable la question des violences faites aux femmes », alors « il est indispensable de s’attaquer aux origines de ce phénomène, à savoir les stéréotypes de genre ». Lien ténu et discutable, mais qui leur suffit pour appeler de leurs vœux une « déconstruction des stéréotypes de genre » et ce dès le plus jeune âge. Et pour cela, ils ne sont pas avares de conseils en matière d’éducation.
Les auteurs s’attaquent d’abord aux professions de la petite enfance, un métier beaucoup trop féminisé selon eux, qui donne l’idée « que les soins aux jeunes enfants sont du ressort des femmes ». Ils mettent en garde les écoles, dont les livres ne sont plus d’actualité et où les enseignants « doivent s’interroger sur le temps et l’attention accordés aux filles et aux garçons » au risque de contribuer à véhiculer des stéréotypes de genre. Ils remettent encore en question les manuels scolaires dans lesquels « des biais de genre importants sont à déplorer ». Et enfin, ils s’immiscent sans délicatesse aucune dans la sphère familiale, en donnant des conseils sur la manière d’élever ses enfants. Grossesse, vêtements, jouets, livres, activités extrascolaires… Un vrai petit guide pratique au service d’une idéologie que le pape a récemment qualifiée de « dangereuse ».
« Les stéréotypes de genre commencent à agir avant même l’arrivée d’un bébé », déplorent les députés, après avoir auditionné Christine Delphy, sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Les auteurs semblent regretter qu’effectivement, les parents ont une influence dès la grossesse sur le comportement de leur enfant. Au passage, belle reconnaissance de l’embryon en tant que personne !
« A partir du moment où les parents savent qu’ils attendent une fille ou un garçon, le bébé se trouve déjà formaté dans la tête de ces derniers. Dès que les parents connaissent le sexe de leur enfant, leur attitude change : ils s’adressent différemment au bébé in utero, ne touchent pas le ventre de la mère de la même manière, ne choisissent pas les mêmes couleurs pour la décoration de la chambre. La mère imagine à l’avance les séances de shopping qu´elle pourra faire avec sa fille, tandis que le père envisage de jouer au football avec son fils. » Alors quoi ? On ne demande pas le sexe du bébé à l’échographie ? Moins prosaïques, les auteurs exhortent à se débarrasser « d’un certain nombre de représentations ancrées en nous ». Comment ? En fournissant aux parents des « guides leur permettant de se positionner dans la bonne attitude par rapport à leurs enfants ».
Parents, vous êtes désormais priés d’habiller vos filles en pantalon ! C’est en tout cas ce qu’insinue le rapport : « Les robes entravent l’apprentissage de la marche chez les petites filles. Les robes peuvent être adaptées à certaines circonstances. Néanmoins, au quotidien le pantalon permet davantage de liberté. » Idem pour les chaussures. Les chaussures dites féminines freineraient la motricité. Sous couvert de praticité, on entrave la liberté des parents de choisir des vêtements pour leur enfant. Quelques pages plus loin, les auteurs ne cherchent même plus à trouver de faux prétextes pour servir leur idéologie : ils s’insurgent tout bonnement contre ces parents qui offrent des Barbie : « Au bout de trois décennies de féminisme et de culture de la mixité, on assiste même à un retour de balancier. Après avoir troqué les robes à smocks pour les jeans unisexes, les mamans se remettent à habiller les petites filles dans des tenues ultra-féminines et leur offrent des poupées Barbie. » Le comble du comble dans cette déclaration : le présupposé que ce sont les mères qui habillent leurs enfants. Un stéréotype flagrant dans ce rapport contre les stéréotypes !
Les Barbie, au placard donc, mais pas seulement. Les auteurs dénoncent le marketing de genre et la « longue histoire des jouets genrés » qui ont un « impact profond sur la construction psychologique des enfants ». Selon eux, le choix des jouets contribue à renforcer le poids des stéréotypes de genre. « Il appartient donc aux parents de ne pas céder au conformisme et à la facilité, en veillant à donner accès à une large gamme de jouets, sans se laisser enfermer dans la distinction entre jouets supposés destinés aux filles et jouets supposés destinés aux garçons », croient-ils bon de recommander.
Après une longue enquête des livres pour enfant, les auteurs observent que les femmes et les filles sont sous-représentées dans les textes et les images. Ils évoquent « l’invisibilisation des personnages féminins », relégués au rang de « femmes à tout faire, tandis que les pères sont invisibles ». « La norme du héros, c’est l’homme », dénoncent-ils. Ils sont visiblement passés à côté des Martine, Caroline, Fantômette, Alice, et autres héroïnes féminines qui ont bercé notre enfance et notre adolescence.
Enfin, dernier lieu où les parents sont accusés d’influencer leurs enfants : les activités extrascolaires. « Les filles sont orientées vers les sports individuels et ce qui valorise l’élégance, le beau à voir, tandis qu’on encourage les garçons à se diriger vers les sports collectifs et les jeux de ballon qui entraînent beaucoup plus à la sphère professionnelle », constatent les auteurs. Et c’est sans doute vrai. Mais pourquoi accuser les parents d'influencer leurs enfants avec des choix stéréotypés quand leur seul souci est de répondre à une aspiration qui émane spontanément de leur progéniture ? Nos détracteurs diront qu'ils auront été déterminés, ô scandale!, dès leur conception dans le ventre de leur mère. Mais soyons honnêtes, rendre un enfant vierge de tout conditionnement n'est-il pas une pure illusion ? Allons même jusqu'à dire qu'une idéologie qui cherche à gommer toutes traces du féminin ou du masculin est, en soi, une forme de déterminisme, un genre de déterminisme par défaut.