À un semestre de l’élection présidentielle, dans un paysage politique d’automne qui, d’ici trois ou quatre mois, aura sans doute profondément évolué, les esprits s’offrent un tour de chauffe. La querelle tourne autour de l’identité nationale. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que la question identitaire occupe le terrain pendant l’échauffement préalable au scrutin, avant de se retirer peu à peu au moment où, l’échéance approchant, chacun regagnera son camp et avant de voter finalement à peu près comme d’habitude. Ainsi va la démocratie : le pire des régimes, paraît-il, à l’exception de tous les autres. On ne vote pas toujours comme on pense, mais assurément on finit souvent par voter comme on est.
L’électorat catholique s’interroge pendant la campagne d’automne : existe-t-il une réponse catholique aux défis de civilisation ? Pouvons-nous trouver dans l’offre politique, si pétaradante en ce moment, "une candidature chrétienne" ? Ou presque chrétienne ? Ou acceptable pour un chrétien ? Et à quoi pouvons-nous la reconnaître ? Qui est patriote ? Qui peut, à bon droit, se revendiquer du titre de « catholique et Français toujours », comme dit ce beau cantique à la Vierge Marie, reine de France, que nous n’entonnons plus par peur du qu’en dira-t-on ?
La France, fille de la chrétienté, façonnée par le labeur de quarante rois et de cinq Républiques, dix fois miraculée, ils l’aiment parce qu’elle porte un idéal de fraternité dans un monde où la fraternité ne fait pas recette.
Faute de répondre de manière péremptoire à une question aussi délicate, on peut se plonger dans notre histoire et regarder ce qui s’y joue. En France, le patriotisme a toujours eu quelque chose à voir avec l’Église catholique. Mais il s’agit d’une relation complexe. Car existent en France deux conceptions opposées du patriotisme.
La première conception est celle de Maurice Barrès, de Charles Maurras, et par certains côtés de François Mitterrand, pour ne pas citer les polémistes à la mode. Cette conception se fait une idée très concrète de la patrie : pour elle, la patrie, c’est le sol, les ancêtres, le paysage, la tradition, le clocher du village, la « France éternelle ». Ce patriotisme de la terre se réclame volontiers de l’héritage chrétien, même si ses chantres se battent davantage pour installer des crèches dans les mairies que pour pratiquer les sacrements. Ils préfèrent la messe en latin mais ils n’ont pas le temps d’aller à la messe. Pour eux, le catholicisme est une belle religion, la religion de nos pères, religion émouvante au service de l’ordre et de la transmission. Il n’y a dans leur conception rien de méprisable. Mais ces champions du patriotisme nostalgique ont tendance à dérailler quand les enjeux deviennent essentiels. Ils finissent souvent par exprimer, à un moment où a un autre, la volonté de dominer et d’exclure (les Juifs naguère, les Arabes aujourd’hui, en attendant les suivants : car ces patriotes ont peur) ; et cette volonté de dominer et d’exclure se heurte à l’Évangile. Contradiction ! Comment faire ? Maurras avait trouvé une réponse à cette difficulté : pour n’être pas naïf, il fallait, selon lui, « débarrasser notre civilisation du venin du Magnificat ». Le venin du Magnificat : nul doute que la Vierge Marie, reine de France, et aussi mère des humbles et des pauvres, apprécie une aussi belle formule et une aussi martiale résolution !
La seconde conception de la patrie est tout opposée. Elle est celle de Jeanne d’Arc, Charles Péguy, Jean Jaurès, ou Charles de Gaulle. Ceux-là aiment la terre ancestrale de tout leur cœur charnel, autant au moins que les précédents, mais ils tiennent qu’il existe quelque chose d’encore plus grand qu’elle. Ils ne disent pas que la France est éternelle, mais au contraire qu’elle est fragile. Ils savent qu’elle est un projet à défendre contre des ennemis matériels et immatériels, extérieurs et intimes. La France, fille de la chrétienté, façonnée par le labeur de quarante rois et de cinq Républiques, dix fois miraculée, ils l’aiment parce qu’elle porte un idéal de fraternité dans un monde où la fraternité ne fait pas recette. Ils aiment la France, non pas parce que la France est belle, mais parce qu’elle est nécessaire. Ils font moins de bruit que les patriotes identitaires, mais on les voit davantage dans les églises. Ils ne cherchent à dominer personne. Ils ne parlent jamais de la France comme d’une cause perdue : ils n’ont pas peur. Ils espèrent contre toute espérance. Aux heures décisives, à Patay, à Valmy, sur la Marne, à Bir Hakeim, ils étaient là. Ils ont eu raison contre tout bon sens. Si nous vivons encore, c’est qu’ils n’ont pas failli. Ils nous ont sauvés. C’est dire qu’ils ont beaucoup à se faire pardonner. Avoir toujours raison est un grand tort.