À une date que l’histoire n’a pas retenue, mais c’était il y a bien longtemps, les habitants de Nice qui observent la mer restent tout étonnés car un merveilleux spectacle se déroule sous leurs yeux : du large, alors qu’aucun vent ne souffle, vient, voiles gonflées, un délicat esquif. Quelques pêcheurs vont y voir de plus près et demeurent sans voix. Le navire, en effet, n’a pas d’équipage, ni de barre et, ce que de la terre ils ont pris pour sa voilure, se révèle en réalité être les immenses et blanches ailes d’anges qui le poussaient doucement vers la plage et l’y firent accoster tout en douceur avant de s’envoler vers les cieux.
De l’embarcation échouée sur les galets monte un parfum ineffable qu’il faut moins attribuer aux fleurs splendides qui la recouvrent tout entière ainsi qu’à la dépouille à laquelle les roses, les jasmins et les lis servent de linceul. C’est celle d’une toute jeune fille d’une beauté exquise recouverte d’un fin voile blanc. Il est indiqué qu’elle se nommait Reparata et que, chrétienne, cette vierge a subi le martyre à Césarée de Palestine et a succombé après avoir échappé miraculeusement à une longue suite de supplices atroces. Ainsi la sainte accoste-t-elle dans la cité dont elle deviendra la patronne et dont la cathédrale recevra un jour son nom.
La légende de sainte Réparate, ou Réparade, mais l’on dit aussi, curieusement, Liberata, fait sourire les beaux esprits, à l’instar de toutes les trop belles histoires fondatrices de lieux de pèlerinages. La faute en est peut-être à ceux qui voulurent, pour lui donner plus de force, l’entourer de trop de détails, à commencer par la date supposée, l’an 251, et le lieu du martyre de l’adolescente.
En 251, l’empereur Dèce règne depuis dix-huit mois. Militaire de carrière, honnête homme, conscient de la terrible crise que traverse Rome, il aspire à sauver un empire qui menace de crouler sous les coups des Barbares mais aussi sous le poids de fléaux divers, famines, dénatalité, épidémies laissant supposer une colère divine. Dèce veut se concilier le Ciel, et associer tous ses sujets à cet acte de piété. Pour cela, il impose à tous les habitants, femmes, enfants et esclaves compris, de se présenter publiquement dans un temple ou devant les autorités compétentes, afin d’y faire symboliquement acte d’attachement à Rome en jetant de l’encens sur l’autel. Honorer ainsi Rome divinisée, pour un chrétien conséquent, équivaut à rendre un culte aux idoles, donc à apostasier la foi dans le Christ. Dèce ne le conçoit pas ainsi et n’y voit qu’un geste purement symbolique et politique, position que partagent d’ailleurs, à tort, de nombreux prêtres et évêques qui iront sacrifier leur foi la conscience tranquille, et emmèneront avec eux leurs fidèles, ce pour quoi tous seront excommuniés, et, s’agissant des clercs, réduits définitivement à l’état laïc.
S’il laisse dans la mémoire de l’Église la réputation d’un abominable persécuteur, ce n’est pas pour avoir envoyé beaucoup de chrétiens au bourreau (...)
Une minorité de chrétiens cohérents refuse d’emblée cet arrangement avec la loi divine et ne se prête pas à cette comédie, ce qui la conduit aussitôt devant les tribunaux mais, en réalité, à de rares exceptions près, là où des magistrats ont fait du zèle en pensant complaire à l’empereur, le nombre de martyrs est très limité, Dèce, qui n’a rien d’une brute, étant horrifié de devoir sévir contre des innocents et tâchant d’empêcher les violences contre les chrétiens. S’il laisse dans la mémoire de l’Église la réputation d’un abominable persécuteur, ce n’est pas pour avoir envoyé beaucoup de chrétiens au bourreau mais pour en avoir égaré en foule, l’apparente bénignité de ses exigences ayant entraîné une vague d’apostasie sans précédent. C’est aussi la raison pour laquelle on rattache au très bref règne de Dèce d’authentiques martyrs morts à une date ultérieure, dans des persécutions de moindre envergure qui n’ont pas eu autant d’écho que la sienne.
Dater de 250 ou 251 la mort de Réparate est donc probablement erroné. Ce qui est incontestable, en revanche, c’est que la Palestine connaît, à la fin du IIIe siècle et au début du IVe, une série presque ininterrompue de persécutions contre les chrétiens, d’une extrême violence et d’une grande cruauté, qui n’épargnent pas les femmes, bien au contraire. Qu’une vierge chrétienne nommée Reparata, probablement un prénom de baptême faisant allusion à l’effacement du péché originel et à la réparation de l’innocence perdue, succombe au cours de l’une d’elle, c’est tout à fait plausible. Endura-t-elle tous les supplices qu’on lui prête ? Quelques passions, et non des moindres, dont la véracité historique est incontestable, font état de témoins qui traversent les tourments sans en pâtir.
Il est exact aussi que certains magistrats, en Orient, condamnent des chrétiens à être livrés aux flots sur des barques sans voile ni gouvernail, ce qui revient à les livrer à une mort lente et cruelle si le temps est clément, à la noyade s’il ne l’est pas. C’est ainsi, affirme la Tradition, que Marthe, Marie-Madeleine, Lazare, Marie-Salomé, Marie-Cléophas et d’autres seraient arrivés en Camargue, guidés par les anges. D’autres récits font état des dépouilles de martyrs, de reliques, ou d’images saintes, soustraites aux persécuteurs en les plaçant pareillement sur des navires confiés à la bénévolence divine. Monaco vénère ainsi sa patronne, sainte Dévote, une jeune fille martyrisée en Corse, dont le corps serait venu aborder au pied du Rocher. À Boulogne-sur-mer, c’est une statue de Notre-Dame venue d’Orient que les anges auraient conduite si loin de son pays d’origine.
Libre à chacun de croire ou pas à l’intervention angélique, qui aurait donné son nom à la Baie des Anges, ou de soutenir plus prosaïquement que les reliques arrivèrent à la suite d’une translation plus banale, mais ce qui est sûr, c’est que sainte Réparate mourut pour le Christ en la fleur de son âge et qu’auréolée de son sacrifice, elle veille sur sa cité niçoise avec tendresse. Si vous passez par Nice, ne manquez pas d’aller la saluer, vous vous en trouverez bien !