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Entre Vincent de Paul et Catherine Labouré, une amitié d’éternité

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Anne Bernet - publié le 26/09/21
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Entre Catherine Labouré et Monsieur Vincent fêté le 27 septembre, s’est tissée au fil des années une relation affective et spirituelle d’autant plus forte que, reniée par son père, la jeune fille se sent orpheline. Leurs mystérieux échanges sont-ils à l’origine de la visite de la Vierge Marie… à l’origine de la diffusion de la Médaille miraculeuse ?

Pour les chrétiens, ainsi que le disent les prières des funérailles, au moment de la mort, « la vie n’est pas ôtée, mais changée » et les défunts continuent d’exister, dans une autre dimension que celle où nous nous mouvons. Ce qui est vrai des simples fidèles qui, en général, ont encore besoin d’un temps de purification, l’est évidemment plus encore des saints entrés directement dans la gloire céleste. Cette réalité explique pourquoi certains d’entre eux, après leur trépas, se manifestent familièrement, d’une manière ou d’une autre, aux vivants, qu’ils se soient ou non connus sur cette terre. Ce fut le cas, à maintes reprises, pour Martin de Porrès, Thérèse de Lisieux ou Padre Pio mais savez-vous que saint Vincent de Paul prit en personne, au début du XIXe siècle, la peine de former à sa mission mariale la future voyante de la rue du Bac ?

Nous sommes en 1824, à Fain-les-Moutiers, un gros bourg bourguignon. Depuis 1815, et la mort prématurée de sa mère, Zoé Labouré, 18 ans, s’occupe seule de faire tourner la grosse ferme familiale et d’élever ses cadets, tâche écrasante dont son père a jugé bon de l’accabler alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Depuis longtemps, il feint d’ignorer que sa fille, qu’il aime autant qu’il l’esclavage, a entendu l’appel divin et aspire au cloître ; d’ailleurs quand, à sa majorité, elle ose le lui dire, elle se heurte à un refus formel, accompagné de la confiscation de sa dot et de sa part d’héritage maternel. Pour l’heure, Zoé, comme on l’appelle en famille, préférant ce prénom, celui du jour de sa naissance, à celui donné à l’état civil, Catherine, garde son secret pour elle et s’interroge sur l’ordre où elle doit entrer. Elle n’a qu’une certitude : ce ne sera pas chez les Filles de la Charité de saint Vincent de Paul, où se trouve déjà sa sœur aînée.

Et voilà qu’une nuit, Zoé fait un rêve. Elle se voit dans l’église de Fain assistant à la messe, chose impossible car, depuis la Révolution, l’église n’est plus desservie, ce qui l’oblige à faire des kilomètres tous les jours pour s’y rendre et communier. À l’autel, un vieux prêtre qu’elle ne connaît pas et qui la regarde, avec une attention si particulière, et tant de bonté, qu’elle en est toute remuée, au point, dès la dernière bénédiction, de s’enfuir pour échapper à ces yeux qui semblent lire en elle. Puis Zoé entre dans une maison voisine, pour visiter une malade ; au chevet de celle-ci, revoici le vieux prêtre ; il lui parle : « Ma fille, c’est bien de soigner les malades. Vous me fuyez maintenant mais un jour, vous serez heureuse de venir à moi. Dieu a des desseins sur vous. Ne l’oubliez pas. »

Zoé se réveille en proie à un trouble immense, mais, fille de bon sens, elle cherche où elle a pu rencontrer ce prêtre ou en voir le portrait. Impossible : elle est sûre de ne pas le connaître, ni de près ni de loin. Pourtant, son visage amical et souriant reste ancré dans son souvenir.

Un an plus tard, Zoé obtient de son père, qui n’a jamais jugé utile de scolariser ses filles, de l’autoriser à entrer quelques mois chez l’une de ses cousines qui tient un pensionnat à Châtillon-sur-Seine, afin d’apprendre au moins à lire et écrire. Sans quoi, mais elle s’est gardée de le dire, aucun noviciat ne voudra d’elle analphabète. Ce séjour tourne au cauchemar : elle est déplacée dans ce milieu d’adolescentes riches qui se moquent de cette paysanne incapable d’apprendre à lire… Découragée, Zoé ne sait plus ce que Dieu attend d’elle.

Un jour, sa cousine, pour lui changer les idées, l’emmène chez les Filles de la Charité et là, accroché au mur du parloir, le portrait d’un vieux prêtre que Zoé reconnaît aussitôt puisque c’est l’inconnu de son rêve. Quand elle demande de qui il s’agit, les religieuses lui répondent que c’est saint Vincent de Paul, leur fondateur. D’un coup, tous les doutes et les réticences de Zoé disparaissent ; elle sait maintenant où Dieu l’appelle.

En fait, à cause de l’obstination mauvaise de son père, il faudra presque cinq ans pour que Zoé Labouré réussisse, en avril 1830, à entrer au noviciat des Filles de la Charité, rue du Bac à Paris. On n’y fait guère attention à cette « fermière » au fort accent bourguignon, presque illettrée et dont la dot minimale laisse croire qu’elle est pauvre. Personne ne devine l’étonnante vertu de cette novice, ni sa familiarité réelle avec les choses divines.

Comme jadis après la mort de sa maman, elle a élu la Sainte Vierge pour Mère adoptive, Mademoiselle Labouré a reporté sur Vincent l’affection dont son père ne veut plus.

Ce 25 avril 1830 est une grande date : cachées durant la Terreur, les reliques de saint Vincent de Paul seront solennellement ramenées rue de Sèvres dans l’église des Lazaristes, l’autre ordre, masculin, fondé par Monsieur Vincent afin d’évangéliser les campagnes et former le clergé. Cette translation sera suivie d’une octave de prière en l’honneur du fondateur et les novices pourront chaque jour aller prier devant les reliques de leur bon père. Zoé, devenue en religion sœur Catherine, n’a jamais oublié les paroles du vieux prêtre de son rêve : « Un jour, ma fille, vous serez heureuse de venir à moi. » Entre elle et le saint, au fil des années, s’est tissée une relation affective d’autant plus forte que, reniée par son père qui l’a chassée de sa maison parce qu’elle persistait dans sa vocation, la jeune fille n’a plus d’autre soutien que le saint. Comme jadis après la mort de sa maman, elle a élu la Sainte Vierge pour Mère adoptive, Mademoiselle Labouré a reporté sur Vincent l’affection dont son père ne veut plus. Et elle attend tout de ses parents de substitution.

Toute une semaine, à ses moindres moments de loisir, Catherine va prier devant les reliques : « Je demandais à saint Vincent toutes les grâces qui m’étaient nécessaires, et aussi pour les deux familles (les filles de la Charité et les Lazaristes), et la France entière. Il me semblait qu’elles en avaient le plus grand besoin. Enfin, je priais Monsieur Vincent de m’enseigner ce qu’il fallait que je demande avec une foi vive. » Demander à Dieu ce qu’il faut lui demander et non ce que l’on souhaiterait obtenir de lui, telle est le secret de la prière des saints. À chacune de ses stations devant les reliques, Catherine a le sentiment de la présence quasi physique de Vincent, au point qu’elle souffre de devoir le quitter. Heureusement, dans la chapelle de la rue du Bac se trouve un autre reliquaire contenant « des petites reliques » du fondateur. « Et toutes les fois que je revenais de Saint-Lazare, j’avais tant de peine qu’il me semblait retrouver à la communauté saint Vincent, ou du moins son cœur, il m’apparaissait toutes les fois que je revenais de Saint-Lazare. J’avais la douce consolation de le voir… »

La première fois qu’elle a la vision du cœur de saint Vincent, Catherine le voit « blanc couleur de chair » et elle éprouve de la douceur et du réconfort ; elle comprend intérieurement que ce blanc symbolise « la paix, le calme, l’innocence et l’union ». Le lendemain, nouvelle vision mais cette fois, le cœur du saint est « rouge feu, ce qui doit allumer la charité dans les cœurs. Il me semblait que toute la communauté devait se renouveler et s’étendre jusqu’aux extrémités du monde ». Pourquoi faut-il qu’à ces promesses succède, le troisième jour, la vision d’un cœur « rouge noir, ce qui me mettait de la tristesse dans le cœur ; il me venait de la tristesse que j’avais de la peine à surmonter. Je ne savais ni comment ni pourquoi cette tristesse se portait sur le changement de gouvernement ». C’est l’annonce de la révolution qui, en juillet, renversera la monarchie et déclenchera contre le catholicisme de nouvelles violences en France…

Quand, à sa prochaine confession, Catherine s’ouvrira de ces visions, elle se fera rabrouer de la belle manière par son jeune confesseur, le père Aladel, avec qui elle aura toute sa vie des rapports compliqués… Cela ne s’arrangera pas quand elle viendra lui dire, en tremblant de ses réactions, qu’elle voit aussi le Christ présent dans l’hostie pendant la messe, qu’Il lui apparaît dans sa royauté bafouée, et ce sera bien pire lorsque les révélations de Notre-Dame commenceront !

À la fin de l’octave, les manifestations de saint Vincent cessent, mais pas l’affection que Catherine lui porte. Dans le calendrier de l’époque, la fête du fondateur est au 19 juillet. Le 18, sœur Marthe, responsable des novices, leur parle de la grande dévotion mariale du fondateur et, en cadeau, leur partage une relique précieuse du saint, un petit morceau de son rochet. Catherine a reçu ce présent avec joie, mais elle a une idée en tête. Si elle se meut à l’aise dans le monde invisible, avec lequel ses contacts vont croissants, elle éprouve un regret de n’avoir pas encore vu la Sainte Vierge…  Saint Vincent ne pourrait-il, profitant du regain de grâces occasionnées par sa fête, lui obtenir celle de rencontrer enfin la Mère qu’elle s’est donnée, dans un grand élan de tendresse et de confiance, au lendemain de la mort de la sienne ? « Comme on nous avait distribué un morceau de linge d’un rochet de saint Vincent, j’en ai coupé la moitié que j’ai avalée, et je me suis endormie dans la pensée que saint Vincent m’obtiendrait la grâce de voir la Sainte Vierge. »

Quelques heures plus tard, en pleine nuit, son ange gardien réveillera sœur Catherine pour l’informer que la Sainte Vierge l’attend à la chapelle.

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