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Du “je” vers un “nous” toujours plus grand

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Benoist de Sinety - publié le 26/09/21
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Il n’y a aucune solution simple aux questions soulevées par ceux qui quittent leurs pays, pour fuir la misère ou la persécution. Le père de Sinety en est convaincu : nos désirs dépendent les uns des autres, les problèmes des uns sont les problèmes de tous.

Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Lui, il a le regard grave et le sourire confiant. Il a vu son frère tué d’une balle par des enturbannés qui s’enivrent d’être de vrais croyants. Il est arrivé en France il y a de cela plusieurs mois. Il ne parle pas de sa vie à la rue, sinon pour dire que c’était dur, très dur, qu’il a découvert du haut de ses 16 ans ce que son enfance ne l’avait pas préparé à affronter, dans l’atmosphère rurale des montagnes afghanes : la solitude, les sollicitations sordides, la crainte de tous et de chacun… Cela fait quelques jours qu’il vit dans une maison, accompagné par des gens qui lui donnent sans attendre quoi que ce soit de sa part en retour, sinon l’espoir que l’école dont il a retrouvé le chemin et la chaleur du foyer l’aident à grandir comme un homme.

Celui-ci n’a pas fui la folie islamique, il a simplement un jour, quand il avait 14 ans, trouvé le chemin qui le menait, dans son village guinéen, vers l’église du quartier voisin. Il s’y est rendu, y a entendu le nom de Jésus et décidé qu’il voulait suivre l’enseignement de ce Maître jusque là inconnu. Il s’en est ouvert à son oncle qui lui tient lieu de père. La réponse a été des coups, encore des coups. Et comme il résistait et continuait chaque dimanche à se rendre à la messe, il a fini attaché comme un chien au tuyau de plomberie de la salle de bain. C’est sa mère, apeurée qui l’en a détaché, une fois l’oncle éloigné. Et elle lui a dit de s’enfuir. Il lui faudra deux ans pour gagner les trottoirs de nos villes et finir, lui aussi après de longs mois, par y être recueilli.

Il faut être inconscient pour ne pas comprendre combien les problèmes des uns sont les problèmes de tous. Combien nous ne pouvons rendre le monde dépendant de nos modes de vies et de consommation, sans que le monde ne devienne dépendant dans son désir de nous.

Elle, est partie du Mali où elle ne voulait plus vivre. Elle a été kidnappée dans les déserts lointains, par des hommes qui l’ont traitée en esclave des mois durant, avant qu’elle ne s’échappe, emportant en son sein le signe de leur violence. Elle ne dit rien sur la suite de son exode. Mais simplement qu’elle n’a pas compris pourquoi, arrivée en notre beau pays, les premiers conseils qui lui furent prodigués par ses interlocuteurs furent sur la manière dont elle pourrait se débarrasser de cet enfant à naître. Elle choisit qu’il vive. Quand elle se retrouvait sur le trottoir avec son nourrisson, on lui fit remarquer que, franchement, elle n’avait qu’à suivre les conseils qui lui avaient été donnés et qu’elle n’en serait pas là. Jusqu’à ce qu’une femme anonyme lui trouve une chambre et prenne soin d’elle et du petit.

Il y a aussi cet homme jeune, ingénieur des eaux et forêts qui se retrouve garde barrière à l’entrée d’un campus dans une université camerounaise : "Comment voulez-vous que je fasse pour me marier et fonder une famille quand avec le diplôme que j’ai obtenu, je n’ai d’autre avenir que de lever et baisser une barrière à l’entrée d’un parking ?" Sans parler de ces dizaines, centaines, milliers d’ados de tous milieux confondus, qui accourent dès qu’un Européen passe en l’assurant qu’eux aussi veulent venir là-haut…

Il faut être inconscient pour ne pas comprendre combien les problèmes des uns sont les problèmes de tous. Combien nous ne pouvons rendre le monde dépendant de nos modes de vies et de consommation, sans que le monde ne devienne dépendant dans son désir de nous.

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Le drame de notre développement technologique c’est qu’il nous rend de plus en plus paresseux à prendre soin de notre prochain, exigeants que nous sommes que l’on prenne soin de nous. Nos dirigeants se contentent de ne vouloir traiter que les phénomènes sans jamais chercher à prendre les causes à bras le corps. Sans doute pensent-ils qu’ils en sont incapables. Combien ils ont raison s’ils se croient seuls aptes à cela. Mais combien ils se trompent en ne cherchant pas à parler à nos cœurs et à nos intelligences, se contentant d’exciter nos passions et nos peurs. Il n’y a aucune solution simple aux questions soulevées par ceux qui quittent leurs pays. Il y a seulement un chemin, long, coûteux et sans doute aussi difficile. Un chemin qui nous oblige à passer du "je" au "nous", et à un "Nous toujours plus grand".

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