L’été fut compliqué en Algérie. Aux difficultés sociales inhérentes à une économie obsolète et à une rente pétrolière mal gérée, ce sont ajoutés des incendies massifs que les autorités n’ont pas réussi à éteindre. Pour tenter d’apaiser ces tensions, le gouvernement a ravivé la vieille opposition avec le voisin marocain en l’accusant, ainsi qu’Israël, d’être responsable des incendies. À la suite de quoi, le ministre des Affaires étrangères algérien a annoncé la rupture des relations diplomatiques, faisant craindre une nouvelle "guerre des sables" comme celle qui a touché les deux pays en 1963.
L’Algérie ne désespère pas de récupérer le Sahara occidental, dont la richesse en phosphate lui permettrait de donner un peu d’air à une économie exsangue. Cette région, sous contrôle de fait du Maroc, est soumise à des rivalités nombreuses : revendications de l’Algérie et de la Mauritanie, mouvement autonomiste (Front Polisario) soutenu par les voisins, action des ONG pour soutenir l’indépendance. Plusieurs de ces ONG sont financées par l’Allemagne, qui soutient les revendications autonomistes. Depuis le XIXe siècle et la crise de Tanger (1905), l’Allemagne a toujours souhaité intervenir au Maroc. C’est à la fois un moyen de déstabiliser la France et une façon d’être présente dans la zone saharienne, cruciale pour de nombreux flux commerciaux. Il y a là une remarquable continuité de la géopolitique allemande, en dépit des nombreux changements de régime depuis un siècle.
La légitimité du Maroc sur le Sahara occidental se fonde à la fois sur des éléments historiques et des reconnaissances juridiques.
La légitimité du Maroc sur le Sahara occidental se fonde à la fois sur des éléments historiques et des reconnaissances juridiques. Tout d’abord, les liens du Maroc avec la région remontent à la dynastie des Almoravides, dont le berceau est situé au Sahara. Sous les Saadiens, le Maroc dominait tout le Sahara occidental jusqu’à Gao et Tombouctou. Le sultan Moulay Ismail (1672-1727) nommait les gouverneurs du Touat et de Teghaza, l’émir du Trarza dépendait de lui et il était investi par lui à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ensuite, la Mauritanie est une amputation de territoires marocains séculaires lors de la colonisation, frontières fixées en 1960 : la frontière marocaine fluctuait vers le fleuve Sénégal.
La France a profité de la faiblesse du Maroc au XIXe siècle pour rattacher une partie du Sahara marocain à l’Algérie, puis les Espagnols au XXe siècle s’emparèrent de tout le sud du Maroc. Les tribus du Sahara occidental avaient non seulement des liens d’allégeance avec le souverain du Maroc, mais leurs ancêtres et fondateurs sont venus de l’intérieur du pays. Enfin, le 16 octobre 1975, la Cour internationale de justice a reconnu qu’en 1884, quand l’Espagne commençait à s’intéresser à la région, elle n’était pas terra nullus puisqu’il y avait des liens d’allégeance avec le souverain marocain (les puissances européennes le reconnaissent, car elles faisaient appel au pouvoir marocain pour faire libérer leurs marins naufragés ou des voyageurs faits prisonniers par les tribus locales).
Le 10 décembre 2020, Donald Trump a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les indépendantistes espéraient que la nouvelle administration américaine reviendrait sur cette décision ; peine perdue puisque la reconnaissance fut réaffirmée par Joe Biden le 5 juillet 2021. Ce fut un camouflet pour la diplomatie algérienne, ce qui a contribué à l’escalade d’août.
L’Algérie a répliqué en faisant usage de l’arme gazière en modifiant le passage des livraisons vers l’Espagne. Dès le 26 août, et après une rencontre avec l’ambassadeur espagnol, le ministre de l’Énergie algérien a annoncé que les livraisons de gaz à l’Espagne se feraient via le gazoduc Medgaz, qui relie directement l’Algérie à l’Espagne (Beni Saf-Alméria). Ce faisant, l’Algérie renonce à utiliser le gazoduc Maghreb-Europe, qui relie Hassi R’Mei à Cordoue via le Maroc. Ce gazoduc qui transite par le territoire marocain permet au royaume chérifien de percevoir un droit de passage payé en gaz naturel, selon des accords qui datent de 1991 et dont le renouvellement doit avoir lieu à l’automne 2021. En annonçant utiliser le tube direct, sans passer par le Maroc, l’Algérie prive donc Rabat de ressources gazières et de royalties. C’est aussi une façon de faire pression sur le Maroc avant l’ouverture des négociations prévues pour la mise à jour du contrat. Les tensions ne devraient donc que croître tout au long du mois de septembre, même si de nombreux intellectuels marocains et algériens ont appelé à une désescalade.