Hélas, si une seule espèce se met à pulluler, c’est la catastrophe. L’infestation par l’acanthaster menace ainsi depuis des dizaines d’années les récifs de corail : Japon, Indonésie, Nouvelle-Calédonie, Australie, dont un quart de la Grande Barrière est déjà détruite ! Atteignant un mètre de diamètre, ces étoiles de mer peuvent fondre sur un lagon — comme un nuage de sauterelles — et anéantir en quelques mois ses récifs coralliens. Le phénomène de pullulation est cyclique, mais il tend à s’aggraver pour des raisons encore mal connues. Où est la responsabilité de l’homme ? On a d’abord pensé à la surpêche d’un grand coquillage prisé des touristes : le triton géant. C’est l’un des rares prédateurs de la couronne d’épine. Mais cette hypothèse a été écartée car il était déjà rare. On penche désormais pour la pollution de l’eau combinée à des changements climatiques favorables à la survie des larves de l’étoile destructrice.
À mesure que nous découvrons notre puissance, nous réalisons qu’elle nous rend vulnérables mais aussi responsables.
Malheureusement — ou peut-être heureusement — les habitants de ces côtes et des multiples îles concernées sont dépendants d’un tourisme centré sur la plongée sous-marine. Une coalition des communautés locales, unies dans l’adversité, s’est dressée contre l’invasion de l’étoile de mer. Chacun a joué son rôle : les naturalistes pour tester les moyens de vaincre l’ennemi, les innombrables plongeurs pour signaler les zones contaminées, grâce à des sites Internet participatifs, et des équipes spécialisées pour effectuer, au bon moment, les gestes appropriés : ramassage, injection sous-marine d’acide, réintroduction de prédateurs...
Ces interventions coordonnées ont fait l’objet de débats préalables : en principe l’Acanthaster fait partie intégrante de l’écosystème corallien ; il favorise même sa biodiversité en limitant les coraux à croissance rapide au profit des coraux à croissance lente. Est-il légitime que l’homme prenne la main sur le récif pour lui "imposer" un rééquilibrage, au détriment d’une espèce ? D’autres écosystèmes ne connaissent-ils pas des phénomènes cycliques d’expansion d’un être vivant ? En général, son prédateur principal suit et régule sa démographie. Dans la situation évoquée, la destruction durable du récif corallien a fait tomber les réticences. Il faut avouer que l’intérêt économique des récifs a pesé lourd dans la décision d’intervenir. Tout le monde s’y est donc mis. Là où les communautés autochtones se sont organisées, l’étoile prédatrice a été repérée à temps ; son expansion est maîtrisée : le corail est sauvé.
Et si cette mobilisation générale réfléchie, à l’échelon local et régional, montrait l’état d’esprit qui devrait animer les relations de l’humanité avec le reste du vivant, mais aussi entre les êtres humains ? Notre état de développement est tel que trois constats s’imposent : puissance, vulnérabilité et responsabilité. À mesure que nous découvrons notre puissance, nous réalisons qu’elle nous rend vulnérables mais aussi responsables. Aux antipodes de l’individualisme, la complexité des défis nécessite une coopération coordonnée de multiples acteurs : le temps est aux communs.