Il y a plusieurs décennies de cela, des hommes politiques nous alertaient : la France est un pays qui vit au-dessus de ses moyens. Selon eux, notre train de vie ne s'accorde pas avec la richesse que nous produisons, il est soutenu artificiellement par une dette sans cesse croissante. Au demeurant, la crise du Covid n'a fait qu'aggraver cet état de fait. Or, ce que ces hommes politiques affirmaient de notre pays, le chrétien est tout à fait fondé à le dire à propos de lui-même ! Lui aussi vit au-dessusau dessus de ses moyens pour trois raisons principales.
La première cause du haut niveau de vie spirituel du chrétien, sans proportion avec les efforts qu’il fournit dans les domaines religieux, moral ou « spi », est la remise gracieuse de ses dettes par Dieu. En effet, on peut vivre au-dessus de ses moyens de deux façons : soit en dépensant plus que ce que nous gagnons, soit en ne payant pas ses dettes. Souvent, ces deux modalités jouent simultanément dans un train de vie injustifié.
Pour ce qui est du non-paiement de ses dettes, le chrétien assume à bon droit cet état de fait pour la simple raison que c'est son propre créancier qui les lui a remises. Autant en profiter ! Dieu nous a en effet pardonné nos péchés : c'est Jésus qui non seulement l'affirme, mais qui en a effectué l'opération par son sacrifice sur la Croix. Par lui, Dieu nous a pardonnés sans mérite de notre part. Telle est la signification de la parabole du débiteur impitoyable : le chrétien doit pardonner les offenses du prochain parce que Dieu lui a pardonné les siennes infiniment plus conséquentes (Mt 18, 23-35). Sur l'échelle des valeurs, les offenses reçues du prochain s'apparentent à quelques euros tandis que Dieu a effacé une ardoise de plusieurs millions !
À ce sujet, ce sont tous les hommes qui vivent au-dessus de leurs moyens : Dieu leur remet davantage de péchés qu'ils ne l'imaginent. S'Il tenait une comptabilité rigoureuse en cette matière, le monde subsisterait-il ? L'Ancienne Alliance avait parfaitement conscience de cet état de fait : le psalmiste ne s'écrie-t-il pas : « Le Seigneur n'agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses » (Ps 102, 10), et encore : « Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur qui subsistera ? » ? C'est tous les jours que Dieu nous remet nos dettes. Dès la création, nous sommes en débit parce qu'Il nous a créés gratuitement. Et que dire de la Rédemption ? Dieu nous a sauvés alors que nous étions ses ennemis (Rm 5, 10) ! Oui, nous vivons comme des débiteurs insolvables dont les dettes ont été annulées. Le chrétien a la chance, lui, de le savoir.
La seconde raison pour laquelle le chrétien est un homme qui vit au-dessus de ses moyens tient à ce qu'il vit de la vie même de Dieu. Dieu, l'infiniment riche, nous donne sa richesse principale : sa propre vie, son Esprit Saint. C'est comme si un habitant d'un bidonville bénéficiait du virement des appointements d’un milliardaire sur son compte bancaire ! Et encore ce miséreux serait capable de faire tourner sa richesse soudaine à son désavantage, tandis que la vie divine nous procure, en plus de ses richesses, l'art et les moyens de bien l'utiliser. Par le baptême et l'Eucharistie, le chrétien acquiert un niveau de vie spirituel sans proportion avec ses capacités et ses mérites. Nous sommes « participants de la nature divine » (1 P 1, 4), rien de moins ! C'est comme si nous disposions d’une ligne bancaire illimitée sur les trésors de Dieu, et gagée de surcroît sur la signature indéfectible du Très-Haut…
La troisième raison du train de vie faramineux du chrétien tient à la Providence de Dieu. Le Créateur nous accompagne tous les jours de notre vie.
La troisième raison du train de vie faramineux du chrétien tient à la Providence de Dieu. Le Créateur nous accompagne tous les jours de notre vie. C'est comme si nous avions une assurance-vie complétée par un GPS gratuit — ce qui ne doit pas nous dispenser toutefois d’actionner les vertus de prudence, de force, de justice et de tempérance ! Bien sûr, le chrétien n'est pas le seul à bénéficier de cette assistance divine, mais lui en a conscience, ce qui change tout de même beaucoup de choses. Par exemple, le disciple de Jésus peut prier le Très-Haut, ce qui a pour conséquence d’augmenter l'assistance divine gratuite ! Jésus ne dit-il pas qu’à celui a déjà, on donnera encore du surplus (Mt 25, 29) ? D’autant plus que la conscience d’être soutenu par la Providence rend le chrétien audacieux au point de se lancer dans des entreprises qu'il n'aurait jamais tentées s'il n'avait pas eu la foi. Finalement, il arrive à obtenir des résultats bien plus considérables que ceux auxquels il serait arrivé sans la foi. Là encore, l'assurance dans le secours divin lui permet de s'assurer un train de vie bien au-dessus de ce qu'il aurait obtenu s’il avait été laissé à lui-même.
Enfin, signalons que ce privilège n'exclut ni les épreuves ni les souffrances chez le chrétien. Au contraire, il en rencontre souvent bien plus que ses semblables. Mais, là encore, sa foi le rend vainqueur car, à l’image du psalmiste, il est assuré du secours de son Père céleste : « Malheur sur malheur pour le juste, mais chaque fois le Seigneur le délivre » (Ps 33, 20). La vie chrétienne n'est pas toujours facile. Sainte Thérèse d'Avila n'affirmait-elle pas que si Jésus avait si peu d'amis, cela tenait à la façon dont il traitait les siens ? Cependant, ce trait audacieux de la sainte doit être mis en balance avec le privilège exorbitant du croyant qui mène une vie, dans la grâce, sans commune mesure avec ses capacités naturelles. Oui, le chrétien vit sur un grand pied (spirituel), bien au-dessus de ses moyens et de ses mérites ! Dettes remises, ligne bancaire illimitée du compte paternel, possession des richesses du Père, une bonne mesure, tassée, secouée, débordante (Lc 6, 38), enfin assistance de tous les instants : malgré ses tribulations, il serait mal avisé de se plaindre…