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Une leçon de jeunesse du vieux Claudel

PAUL CLAUDEL

Paul Claudel

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Henri Quantin - publié le 01/09/21
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Pour qui croit que Dieu reste à l’œuvre dans la création qu’il a confiée aux hommes, l’enthousiasme devant la beauté de la tâche à accomplir ne peut que prévaloir sur le découragement devant la lenteur des travaux.

Les vieillards, dit-on, sont désabusés, tandis que les jeunes gens sont pleins d’allant. Le jeunisme benêt en fait une loi d’airain et tend son micro à tous les adolescents, persuadé que leur jeune âge suffit à les rendre prophètes. C’est oublier que la vraie jeunesse ne se mesure pas en années : il y a des vieillards de 15 ans et des jeunes gens de 80. C’est pourquoi, en cette rentrée scolaire qui met par définition les projecteurs sur les jeunes générations, ce sont plutôt des paroles prononcées par un homme au crépuscule de sa longue vie que nous écouterons.

Quatre-vingt-trois ans. C’est l’âge qu’avait Claudel en 1951, quand il donna à la radio de longs entretiens publiés ensuite sous le titre de Mémoires improvisés. Beaucoup donneraient cher pour conserver au même âge une telle mémoire et un tel talent pour improviser. On ne peut qu’admirer la capacité du poète à rendre vivant et à portée de main tout ce dont il parle. On savoure aussi son évidente familiarité avec les plus grands chefs-d’œuvre de l’humanité, ainsi qu’avec l’Écriture sainte, à laquelle il consacra l’essentiel des vingt-cinq dernières années de sa vie. Ce qui frappe le plus, toutefois, est la jeunesse de ce vieil homme, qui semble ignorer le retour en arrière nostalgique et la comparaison désabusée du présent avec le passé. Oui, malgré deux guerres mondiales et l’effondrement de tout ce qui semblait encore à peu près stable dans le monde du jeune homme né en 1868, Claudel estimait vivre sa vieillesse dans un monde plus heureux que celui de son enfance.

Une humanité plus heureuse en 1951 qu’en 1880 ? Qu’on ne comprenne pas l’affirmation comme un éloge des progrès du confort matériel. Dans son évaluation du « bonheur de l’humanité », Claudel préférait sans hésiter « l’état d’angoisse ou de souffrance où nous vivons maintenant » à l’état de « congestion bourgeoise » qui s’était écoulé entre sa naissance et la guerre de 14. La raison qu’il donnait était simple : « L’abrutissement n’est pas un idéal pour l’humanité ! »

Claudel tirait sa conviction à la fois du spectacle du monde et de sa méditation du livre d’Isaïe : le but visé n’est pas le bonheur égoïste de l’humanité, qui consisterait à manger et à boire, mais la gloire de Dieu. Et, précision essentielle, il y a plus de bonheur, pour l’humanité elle-même, à travailler pour la gloire de Dieu qu’à travailler pour son bonheur personnel. Bref, l’humanité est d’autant plus riche et d’autant plus vaste qu’elle a conscience de vivre ce qu’Isaïe appelle « les douleurs de l’enfantement ». Dans l’angoisse et la souffrance d’une création immense, l’humanité est appelée à tendre vers une plus grande unité.

Pour qui croit que Dieu reste à l’œuvre dans la création qu’il a confiée aux hommes, l’enthousiasme devant la beauté de la tâche à accomplir ne peut que prévaloir sur le découragement

Le dernier mot de Claudel, dans son quarante-deuxième et ultime entretien radiophonique, est donc un appel à l’enthousiasme : « Et il me semble qu’un jeune homme qui voit les choses telles qu’elles sont, et qui partage les convictions que j’ai, ce qu’il ressent devant le monde actuel, ce ne doit pas être une impression d’accablement, de découragement, mais plutôt d’enthousiasme. Il se dit que dans un monde où il y a tant à faire, lui-même a sa part prescrite, et c’est plutôt une sensation d’exaltation, d’enthousiasme qu’il doit ressentir. »

Telle est la leçon que cet homme de 83 ans donne aux jeunes gens. Pour qui croit que Dieu reste à l’œuvre dans la création qu’il a confiée aux hommes, l’enthousiasme devant la beauté de la tâche à accomplir ne peut que prévaloir sur le découragement devant la lenteur des travaux. Et la perversité de certains bâtisseurs, qui démolissent les fondations en prétendant rendre ainsi l’édifice plus solide, rend l’aventure plus exaltante encore. « Les obstacles semblaient renouveler ma flamme », dit le Titus de Racine. Il faut faire taire le désabusé qui préférerait lire : « Les obstacles semblaient encourager ma flemme. » S’il était moins désespérant, notre monde serait moins exaltant. S’il était plus paisible, il serait moins enthousiasmant. Si le bon grain et l’ivraie croissent ensemble, le bien ne peut gagner de terrain qu’au cœur d’une poussée du mal. L’appel à la sainteté ne résonne jamais aussi fort que dans un monde vicié. Sans empereur romain à tendance totalitaire, pas de sainte Blandine ; sans Henri II, pas de saint Thomas Beckett ; sans Henri VIII, pas de Thomas More. En un mot, sans tyran, pas de martyr.

Enthousiasme et exaltation, y compris dans l’angoisse, plutôt que faux bonheur animal. À 83 ans, Claudel aurait été prêt à affronter une nouvelle rentrée, quelle que soit l’hostilité ou la décrépitude du monde qu’il devait retrouver. Enthousiasme et exaltation : tel est l’état d’esprit que nous souhaitons aux jeunes gens comme aux vieillards, surtout à ceux qui estiment que la rentrée a lieu dans un champ de ruines ou dans une arène.

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