En rentrant du pays du Cèdre, le pape Jean Paul II avait lancé : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message ! » Au moment où les regards se tournent vers Marseille, à l’occasion du Congrès mondial de la nature, organisé par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), permettez-moi d’oser dire la même chose à propos de ma chère cité phocéenne : Marseille est plus qu’une ville : c’est un message ! Un message où la détresse se mêle à l’espérance.
La détresse, parce que Marseille est blessée dans sa chair. Sous nos yeux, des mafias meurtrières et sans scrupule transforment la jeunesse des quartiers pauvres en chair à canon pour trafics en tous genres : armes, drogues, prostitution, etc. Cet été, la liste des morts, de plus en plus jeunes, s’est dramatiquement allongée et des populations entières se sont retrouvées prises au piège de leur environnement. Quand j’étais enfant, nous habitions les Quartiers Nord, à Saint-Barthélemy, dans une cité HLM pour agents de la SNCF. Les cités avoisinantes avaient des noms poétiques : Font-Vert, La Busserine, La Marine Bleue et La Marine Blanche, Les Rosiers et les Marronniers. Aujourd’hui, ces noms poétiques sont ensanglantés, les cités sont devenues des ghettos et depuis longtemps, dans les autres quartiers de la ville, l’indifférence a étouffé l’indignation.
L’espérance est invincible, quand elle est portée par des hommes et des femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs religions ou leurs convictions.
Marseille reste fière mais elle est meurtrie : d’un côté, elle continue de sourire pour charmer les touristes et se distraire au Stade ; de l’autre, elle s’enfonce dans la violence et pleure sa jeunesse. À quand un réveil des consciences ? Pourquoi et comment les réseaux de trafic ont-ils pris autant de pouvoir, narguant la République, ses lois et sa justice ? Jusqu’à quand les consommateurs de stupéfiants ne comprendront-ils pas la complicité qu’ils entretiennent avec les réseaux de la mort ? Marseille, certes, a besoin de moyens que seul l’État peut lui donner. Mais tous les moyens du monde ne sauraient suffire si les consciences ne se réveillent pas.
Comme archevêque de Marseille, je veux cependant croire que les consciences ne sont pas irrémédiablement endormies ou anesthésiées. Comme le Liban, cette ville est riche d’une étonnante capacité d’espérance, envers et contre tout. Tel est l’autre message de Marseille : rien n’est jamais perdu, pour peu qu’on ait du cœur ! Sillonnant la ville depuis des années, je sais le patient travail des associations de quartier, des clubs sportifs ou des centres sociaux. Je sais le dévouement de tant et tant d’enseignants, du privé et du public, au service de l’éducation des enfants des quartiers délaissés. En tant que responsable de la communauté catholique, je sais également le rôle précieux des communautés chrétiennes qui habitent ces quartiers, développent du soutien scolaire et accueillent les plus déshérités.
Humblement mais résolument, des liens se tissent, j’en suis témoin, entre des croyants de religions différentes, qui prennent soin ensemble des plus pauvres et doivent parfois lutter, au sein même de leurs religions, contre les discours de division et d’exclusion. Mais je puis l’affirmer : l’espérance est invincible, quand elle est portée par des hommes et des femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs religions ou leurs convictions. Et pour le chrétien que je suis, cette espérance n’est pas une illusion naïve, car elle procède de la Croix du Christ, mort pour tous afin que tous aient la Vie.
Marseille, as-tu du cœur ? Oui, je sais que tu en as, et bien plus que pour une célèbre partie de cartes ! Alors n’aie pas peur de reconnaître tes plaies et engage-toi à en combattre les causes. Car c’est en assumant sa vulnérabilité qu’on trouve le courage de son espérance. En accueillant le Congrès mondial de la nature chargé d’élaborer de nouvelles recommandations en faveur de la biodiversité en vue de la COP 15 en 2022, tu attires les regards du monde entier sur les rivages de la Méditerranée, cette mer qui a tissé ton histoire et te confie son avenir. Profite de cette opportunité pour te faire l’écho, non seulement de la clameur de la Terre, mais aussi de la clameur des pauvres, d’une rive à l’autre de cette mer. Tu le sais d’expérience : rien ne sert de s’émerveiller devant la beauté de la nature si l’on ne sait pas s’indigner quand une vie humaine est bafouée. Je te dis tout cela, Marseille, non pas pour te donner des leçons, mais parce que je suis fier d’être Marseillais et que j’ai mal quand ma ville souffre ou est dénigrée. Je te le dis, foi d’archevêque ! Marseille a une belle et grande mission. Plus qu’une ville, elle est un message pour le monde. Aidons-la à réussir et le monde réussira !