À l’origine des violences meurtrières qui ont traversé le pays pendant une semaine, il y a l’arrestation et le jugement de l’ancien président Jacob Zuma (2009-2018). Issu de l’ethnie zouloue quand ses prédécesseurs, notamment Nelson Mandela et Thabo Mbeki étaient xhosa, Zuma dispose d’une solide clientèle dans l’État du Natal, région historique des Zoulous. Cette arrestation a été perçue par les Zoulous comme une tentative de l’actuel président Cyril Ramaphosa d’éliminer un concurrent. À ces rivalités pour le contrôle de l’État, s’ajoute donc la rivalité entre ethnies sud-africaines ainsi que les tensions économiques d’un pays en pleine dépression. Chômage et pauvreté augmentent et touchent lourdement les populations noires. Une situation accrue par les restrictions liées à l’épidémie de Covid. Autrefois grenier à céréales de l’Afrique australe, le pays est aujourd'hui contraint d’importer de la nourriture, ayant démantelé son appareil productif agricole par toute une série de mesures vexatoires à l’encontre des fermiers. Pauvreté, tensions ethniques, opposition politique, tout était réuni pour créer des mouvements de population et des révoltes.
Les émeutes à Durban se sont déroulées sur plusieurs jours. Magasins pillés, maisons incendiées, personnes molestées, la violence a été forte. Les autorités font état d’une centaine de morts sans que le décompte puisse être fiable. Les centres commerciaux ont été dévastés et pillés, faisant glisser les émeutes vers la razzia et les règlements de compte. Ni la police ni l’armée n’ont été en mesure d’y mettre un terme, contraignant les populations locales à s’organiser en auto-défense.
Les violences ont pris une tournure ethnique avec des affrontements entre populations noires et indiennes. Très présente en Afrique du Sud, comme dans l’ensemble de l’océan Indien, la communauté indienne détient de nombreux magasins, commerces et activités de professions libérales (Gandhi fit lui-même un long séjour en Afrique du Sud après ses études d’avocat à Londres). Les pillages des magasins tenus par des Indiens ont engendré des représailles entre les communautés, avivant encore davantage les tensions. Loin d’être une nouveauté dans l’histoire du pays, ces affrontements en rappellent d’autres, survenus au XXe siècle. En 1906, la région du Natal, ancien territoire des Zoulous, fut le théâtre de la rébellion de Bambatha, dirigée par le chef du même nom, qui s’opposait à l’imposition de nouvelles taxes. Les Indiens prirent part à la répression, aux côtés des Britanniques, qui matèrent la révolte au prix de nombreux morts. L’animosité créée entre Zoulous et Indiens éclata de nouveau quarante ans plus tard lors des émeutes de Durban en janvier 1949. Les Zoulous menèrent des pogroms anti-Indiens, tuant et brûlant plusieurs membres de la communauté. Les Indiens répliquèrent à leur tour, obligeant l’armée sud-africaine à intervenir pour mettre un terme aux combats.
Les affrontements de 2021 s’inscrivent aussi dans cette longue histoire de haine et de défiance entre les deux communautés. Le mépris entre les deux groupes est important et la méfiance réciproque. Les Zoulous sont en outre un peuple fier de leur indépendance et de leur histoire, ayant été l’un des rares peuples africains à tenir tête aux Anglais lors de la conquête du continent. Le prince impérial Louis-Napoléon Bonaparte trouva la mort en 1879 durant la guerre anglo-zouloue qui aboutit finalement à la victoire des Britanniques.
Ces émeutes s’inscrivent donc à la fois dans la conjoncture d’un moment (l’arrestation de Jacob Zouma) et dans l’histoire longue de l’Afrique du Sud (l’opposition entre les Zoulous et les Indiens). La violence des pillages et des meurtres, la constitution de milices d’autodéfense, la fragilité économique et politique du pays rendent néanmoins cette situation très préoccupante pour l’avenir de la nation. En l’absence d’autorité centrale assez forte et de pouvoir politique cohérent, de telles émeutes fragilisent un pays déjà amoindri. Si l’ordre est de retour en Afrique du Sud, les facteurs qui ont conduit à ces pillages n’ont pas disparu.