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Cuba sous le choc de la colère populaire

HAVANA
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Jean-Baptiste Noé - publié le 15/07/21
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Cuba connaît ces jours-ci une irruption de révoltes populaires qui touchent plusieurs villes du pays. Le gouvernement a été surpris par la soudaineté de ces mouvements de protestation et se trouve démuni pour les réprimer. Une situation insurrectionnelle inédite qui ouvre de nombreuses incertitudes pour l’avenir.

Cuba était oubliée. Raul Castro avait passé le relais de la présidence de la République à Miguel Diaz-Canel en 2018 et le poste de Premier secrétaire du Parti communiste de Cuba en avril 2021. La transition semblait donc assurée ainsi que la pérennité de l’héritage des Castro. L’irruption des manifestations a donc surpris autant les observateurs étrangers que les pouvoirs publics de Cuba. Personne ne s’attendait à un tel soulèvement ni à ce que celui-ci se propage à l’ensemble des grandes villes de l’île.  Le gouvernement a beau interrompre en journée les connexions Internet, un filet d’informations parvient à passer, qui permet de confirmer que les révoltes sont massives et que le Président de l’île est débordé par celles-ci. 

Loin d’être une révolte planifiée par l’étranger (États-Unis) ou par les exilés cubains de Floride, les mouvements de protestation émanent de la population locale. L’île est en échec économique depuis plusieurs décennies, mais elle arrivait à survivre jusque-là grâce à la manne financière du tourisme qui suppléait les subsides de l’URSS. La fermeture des liaisons aériennes à la suite des confinements a stoppé net la manne touristique, amplifiant les problèmes économiques du pays. 

À Cuba, il n’y a pas de quoi manger et, comme au Venezuela, les produits d’hygiène de base manquent (savon, papier hygiénique, médicaments, etc.). Une situation de pauvreté extrême qui conduit à la révolte des plus humbles, qui ont pour principale revendication une demande à la fois simple et forte : « À manger ». En dépit des coupures intermittentes de l’électricité et de l’Internet, la population cubaine arrive à s'échanger des informations, assurant la diffusion des émeutes dans l’ensemble des villes principales de l’île. Émeutes spontanées de révoltes et de cris de douleur, demandant à manger et la liberté, où les plus pauvres descendent dans les rues pour crier leur colère en s’en prenant aux bâtiments publics. 

Face à ces manifestations d’ampleur, le pouvoir cubain est désemparé. Il n’est pas en mesure de répondre à la crise sociale et de fournir de la nourriture à sa population. Ne reste donc que la répression, mais celle-ci est rendue difficile par le fait que la police ne dispose pas de service anti-émeute. Les seules forces qui peuvent intervenir sont celles de l’armée qui, pour l’instant, ne semble pas disposée à tirer sur la foule, craignant des jugements et des condamnations ultérieures. Si l’armée lâche le gouvernement, la situation sociale de l’île sera intenable. 

Le président Miguel Diaz-Canel, lors d’un discours à la télévision, a appelé les « révolutionnaires » à sortir dans la rue pour défendre la Révolution et l’héritage de Fidel Castro. Il a demandé aux partisans de la révolution cubaine de se dresser contre les mouvements réactionnaires qui menacent la pérennité de celle-ci. Une rhétorique marxiste qui peine à convaincre ceux qui souffrent des pénuries alimentaires. Contrairement aux frères Castro, Diaz-Canel n’est pas un politique, mais un bureaucrate. C’est un homme qui a été formé au sein du Parti et dont l’esprit est fait pour administrer et gérer, non pour résoudre des crises politiques majeures, ce que sont ces manifestations. N’ayant pas les compétences pour affronter ce cas unique dans l’histoire de Cuba, il risque d’être complètement dépassé par les événements. 

En ce début de crise, plusieurs hypothèses peuvent être émises quant au futur de ces manifestations. La plus probable est que l’armée réprime violemment les manifestants faisant régner l’ordre par la terreur, même si le gouvernement semble vouloir « tirer les enseignements » de la mobilisation en cherchant à calmer le jeu. En cas de retour à l’ordre brutal, est-ce que les États-Unis interviendraient ? C’est peu probable, le dossier cubain étant trop complexe à gérer. La Russie a d’ores et déjà appelé à empêcher toute ingérence étrangère à Cuba, faisant revivre le temps de la Guerre froide. Une répression violente pourrait calmer les ardeurs des manifestants, mais elle ne résoudrait pas le problème de fond, à savoir le manque de nourriture. 

Deuxième hypothèse : le mouvement s’emballe et le gouvernement est renversé. Compte-tenu de la pusillanimité de Diaz-Canel et de la volonté forte des manifestants, cette hypothèse est possible. Cela suppose aussi que l’armée reste l’arme au pied et ne réponde plus aux ordres du gouvernement. Les problèmes de l’île ne disparaîtraient pas pour autant. Qui pourrait alors remplacer le Président ? Un homme du Parti communiste cubain ou un exilé revenu d’urgence de Miami ? Si un Cubain de l’extérieur devait prendre le pouvoir à La Havane, il aurait à se confronter à une situation sociale des plus difficiles : on ne sort pas facilement de soixante-dix ans de communisme. 

Troisième hypothèse : les mouvements de contestation s’étendent au reste de l’Amérique latine et notamment au Venezuela. Les liens entre les deux sont forts. Caracas fournit le pétrole et les devises dont Cuba a besoin et en échange La Havane apporte médecins et police politique. Le sort des deux pays est lié et le renversement de l’un pourrait conduire à la fin de l’autre. Loin d’être isolée à la seule île, la crise cubaine pourrait s’étendre à une grande partie des Caraïbes et de l’Amérique latine. 

Le futur de l’île est donc pour l’instant suspendu et nul ne peut prévoir ce qui peut y advenir dans les prochaines semaines. Si l’hypothèse de la répression violente est à ce jour la plus probable, l’histoire nous a déjà maintes fois démontré que les mouvements populaires peuvent aboutir à des conséquences inattendues. Il est donc possible que l’été 2021 soit celui d’une grande surprise à Cuba. 

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