La discussion est-elle un renoncement à la violence ? La question était l'un des sujets de philo du bac cette année. Dans le monde du travail, elle vaut la peine d’être abordée, car ce n’est pas toujours évident. A priori, la discussion est un remède à la violence. Pour une raison simple : le monde du travail croule sous les non-dits qui empoisonnent les relations, et sont source d’exaspération, voire de crises désastreuses. Discuter, c’est oser prendre la parole pour dire des choses qui ne sont pas forcément agréables, c’est prendre son courage à deux mains pour mettre le doigt sur quelque chose qui ne va pas et qui a besoin d’être abordé, c’est se montrer responsable et ne pas subir les événements. Faire semblant de rien peut être suicidaire. Heureux ceux qui osent dire tout haut ce que tout le monde constate tout bas. Discuter, c’est aussi échanger, et même si l’on n’est pas d’accord, au moins on argumente, on se force à dire ce que l’on pense, à chercher des arguments qui font mouche, on veut convaincre grâce à la raison, à la loyale. Discuter c’est enfin clarifier par le débat, car deux avis opposés trouvent chacun leur avocat, et la décision qui en résulte sera généralement plus ajustée.
Pour autant, est-ce toujours vrai ? Tout le monde sait que la victoire appartient au plus habile, à celui qui manie le mieux le verbe et qui n’est généralement pas le plus juste. Ou encore au plus fort, à celui qui occupe une position d’autorité qu’il peut faire valoir à tout moment, au sens ou Chirac disait de Sarkozy, alors Premier ministre : "Je décide, il exécute." Les discussions dans l’entreprise sont jouées d’avance. Il arrive même que les discussions amplifient les violences, tant certaines d’entre elles ressemblent à des monologues, où personne n’écoute, où les arguments empestent la mauvaise foi. Écœurés par une discussion qui n’aboutit pas, ceux qui ont cru loyalement à une possible clarification se renferment dans un mutisme rempli de colère, ils désespèrent, et deviennent durablement hermétiques à toute nouvelle discussion. Faut-il encore ajouter que certaines discussions augmentent la violence, parce que les uns sont furieux de ne pas avoir convaincu, d’autres font peser aux autres leur victoire et c’est insupportable.
La vraie discussion est écoute, reformulation, expression mesurée de son opinion, concession sur les points incontestables de son adversaire…
Comment réduire alors la violence en discutant ? D’abord en opposant à l’esprit de domination l’esprit de dialogue. Si certaines discussions sont des pugilats à peine masqués, stériles, qui se terminent par la décision du plus fort, il reste toujours possible qu’un responsable encourage une vraie discussion, faite d’opposition et de convergence. Cela suppose un certain nombre de préalables, à savoir l’honnêteté des participants, des contraintes qui ne sont pas impérieuses, avec une marge de manœuvre qu’il leur appartient de définir. La discussion peut alors se transformer en négociation, en concertation. Les opposants peuvent désormais partager une attitude désarmée qui évalue et pondère, qui privilégie les points d’accord. Il est même probable que si une personne peut exprimer clairement son désaccord, si elle est écoutée et qu’on ne caricature pas son point de vue, même si la décision finale ne va pas dans son sens, elle l’acceptera davantage.
La vraie discussion est écoute, reformulation, expression mesurée de son opinion, concession sur les points incontestables de son adversaire… Une telle attitude se fonde sur la conviction que cela vaut la peine de dire ce que l'on pense, au mieux, elle révèle l'intelligence collective. Si la discussion est une voie privilégiée pour une décision plus juste, la conversation constitue elle, est un sommet de civilisation. Ici, le niveau sonore tombe, le ton s’adoucit, l’esprit partisan cède le pas au plaisir d'échanger. On ne cherche pas tant à défendre un point de vue qu’à explorer ensemble. La conversation s’éloigne plus volontiers encore de la violence que la discussion.