Avocat au barreau de Paris, Me Laurent Delvolvé est un bon connaisseur des relations entre l’Église et l’État. Dans son ouvrage Défendre l’Église (Éd. Bookelis), il s’adresse en particulier aux évêques et aux curés de paroisse comme à des chefs d’entreprises soumises à des règles juridiques dans toutes les branches du droit : droit des cultes évidemment, mais aussi droit administratif, droit de l’immobilier, droit des associations, droit de la personnalité et des obligations, droit pénal, droit fiscal, droit de la propriété… sans parler du droit canonique.
En s’appuyant sur des cas de jurisprudence récents, il attire l’attention sur des points de vigilance afin d’aider les responsables de l’Église dans toutes les situations rencontrées. Son travail peut aider aussi les laïcs à bien saisir la portée de certaines décisions parfois difficiles à comprendre dans la vie de l’Église, en raison même de ses obligations humaines, le droit étant aussi une protection dont il faut savoir faire usage.
Aleteia : Pourquoi "Défendre l’Église" ?
Me Laurent Delvolvé : C’est à la suite d’une conversation avec un ami prêtre que je me suis rendu compte qu’il y avait une certain urgence à revenir aux droits fondamentaux sur la liberté religieuse, la liberté d’exercice du culte et la liberté de manifester sa foi y compris dans l’espace public, tant la crainte de violer la loi réfrénait souvent les initiatives de nos pasteurs. Un rappel du droit applicable ne fait jamais de mal pour aider un curé à être à l’aise avec les initiatives qu’il souhaite prendre. Bien sûr, une connaissance approfondie du droit applicable à l’Église n’est pas nécessairement la première préoccupation d’un curé, mais le droit rappelé par un paroissien par ailleurs juriste, peut aussi se mettre au service des initiatives pastorales. Un exemple, un curé n’est pas nécessairement informé qu’il peut légalement et librement sortir de son église en procession, même sans déclaration préalable, dès lors que celle-ci s’inscrit dans la tradition locale (pour une fête votive, pour un enterrement, pour un pèlerinage à la Vierge Marie, etc.). Il ne s’agit pas de revendiquer une Église triomphante mais bien d’inscrire les actions de l’Église dans le respect du droit. La laïcité à la française ne signifie nullement de réserver l’expression de sa foi à la maison ou à l’église.
N’est-il pas choquant d’affirmer qu’il faut défendre l’Église alors que celle-ci n’est pas exempte de critique, notamment pour sa gestion des abus sexuels
C’est précisément parce qu’elle est attaquée que les membres de l’Église ont droit à une défense, comme toute personne dans un État de droit. De plus, l’Église catholique, du moins les hommes et les femmes qui la composent, ne sont pas à l’abri d’erreurs et de fautes. Ils peuvent engager leur responsabilité. Comme toute organisation humaine, ses institutions et ses représentants ont droit à une défense en justice afin précisément que la justice puisse être rendue dans le strict respect du droit applicable. J’ai souvent entendu en audience, de la part des avocats adverses voir des juges eux-mêmes, des expressions comme : « L’Église ne se défend pas, ce ne serait pas digne d’elle », « l’Église, qui est amour, ne peut pas attaquer en justice », « l’Église n’a pas besoin de la justice des hommes, elle a la justice de Dieu »... Cela révèle la haute estime dans laquelle est tenue cette institution dans le cœur des hommes ou dans l’inconscient collectif. Cela ramène aussi l’Église à ce qu’elle est essentiellement, un corps mystique qui dépasserait les contingences matérielles et les querelles terrestres. Mais cela dénote également une mauvaise compréhension du fait que précisément l’Église est incarnée, terrestre, humaine ; qu’elle est aussi une institution composée d’hommes et de femmes qui ont des droits et des obligations, des responsabilités et des engagements. Elle permet à chacun d’exercer le culte catholique, ce qu’il faut garantir. Elle exerce des missions cultuelles, pastorales et caritatives essentielles qu’il faut organiser. Elle détient un certain nombre de biens qu’il faut gérer. Elle porte des convictions qu’il faut défendre.
L’Église est-elle réellement confrontée au droit au quotidien ?
Il faut bien prendre conscience qu’un curé de paroisse, et plus encore un évêque, au-delà de la charge pastorale essentielle qui lui est confiée, devient quasiment patron d’une PME voir d’une ETI — sans peut-être le savoir ou en avoir pleinement conscience — puisqu’il doit assumer toutes les fonctions civiles de la charge canonique d’un évêque ou d’un curé de paroisse. Or cela recouvre toutes les branches du droit. Il doit s’appuyer sur le droit des cultes afin de savoir ce qu’il lui est légalement possible de faire dans les églises qui lui sont confiées et ce qui peut poser une difficulté avec les pouvoirs publics (droit des cultes, droit de la laïcité, loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l’État). Il peut s’appuyer sur le droit administratif pour savoir ce qu’il lui est possible d’organiser au sein de son diocèse ou de sa paroisse y compris dans l’espace public, avec la prise en compte du régime spécifique des églises paroissiales (droit administratif).
Mais il est également responsable immobilier car non seulement il reçoit la charge de l’affectation cultuelle des édifices construits avant 1905 mais doit aussi gérer les biens immobiliers du diocèse et de la paroisse tels que le presbytère et les locaux paroissiaux (droit immobilier). Il lui faut suivre de près les associations liées au diocèse et à la paroisse, et ce surtout que bien souvent le lien juridique avec l’Église n’est pas expressément affirmé dans les statuts hormis la précision de sa présence ou de celle de son représentant en tant que membre de droit (droit des associations). En tant que curé, il assume une responsabilité es qualité de représentant légal de la paroisse. Il est dès lors le seul à pouvoir représenter ou engager contractuellement la paroisse ou à déléguer ce pouvoir (droit de la personnalité, droit des obligations).
Comme tout citoyen, les responsables ecclésiaux sont soumis au droit pénal...
Comme tout citoyen, les responsables ecclésiaux sont soumis au droit pénal, en qualité de victime pour les actes subis au sein de son diocèse ou de sa paroisse mais peuvent également être mis en cause pour des actes commis personnellement, plus ou moins graves (droit pénal). En tant que curé, il est employeur du personnel de sa paroisse et doit dès lors respecter la réglementation sociale (droit du travail). Il est également directeur financier puisqu’il lui incombe non seulement de gérer les finances du diocèse ou de la paroisse mais également de collecter les sommes qui lui seront versées et de respecter leur destination (droit des finances publiques, droit fiscal, droit des organismes sans but lucratif). Tout cela sans omettre bien entendu de respecter le droit canonique, droit de l’Église qui doit s’articuler avec le droit étatique (droit canonique), avec des conséquences importantes liées à la propriété canonique qui ne se traduit pas nécessairement dans le droit civil français.
D’où l’importance de la pédagogie juridique ?
Exactement. Les prêtres n’ont pas nécessairement reçu de formation spécifique dans chacun de ces domaines qu’il leur faut pourtant maîtriser. Heureusement ils ne sont pas seuls. Outre la grâce et l’Esprit Saint, non seulement ils peuvent s’appuyer sur les compétences réunies au sein du Conseil économique du diocèse et du Conseil paroissial pour les affaires économiques (CPAE), où de nombreux avocats et juristes s’investissent sans compter leur temps, mais ils peuvent également compter sur tous les services de leur diocèse. Le plus important est de savoir d’une part anticiper avant de décider et d’autre part d’adopter les réactions appropriées en cas de difficulté particulière.
Pouvez-vous donner quelques exemples de questions juridiques concrètes qui se posent à l’Église et aux paroisses ?
La confrontation entre la vie de l’Église et le droit suscite quotidiennement un très grand nombre de questions. Par exemple, qui est propriétaire de l’église, lieu de culte ? À qui appartient l’orgue de mon église ? Quels sont les pouvoirs de l'affectataire cultuel ? Quels sont les droits des prêtres et des fidèles sur les édifices du culte ? Bien des activités au sein des lieux d’Église relèvent du droit, par exemple peut-on faire visiter l’église sans mon accord, ou y organiser des concerts, évènements culturels ? Peut-on imposer une utilisation culturelle des édifices affectés au culte ? La visite des édifices cultuels et de leurs trésors peut-elle être soumise à redevance ? En cas de tels événements culturels, la paroisse a-t-elle le droit recevoir une part des sommes touchées au titre du droit d’entrée ? Les églises et le code général de la propriété des personnes publiques : quelles sont les conditions d’application de l’article L 2124-31 ?
Cet ouvrage est destiné essentiellement à attirer l’attention des responsables ecclésiaux sur les points de vigilance afin de les aider à adopter les bons réflexes juridiques...
S’agissant de l’entretien des églises, autre sujet sensible : en cas de rénovation des bâtiments (intérieurs ou extérieurs), qui doit financer les réparations ? Dois-je donner mon accord à la réalisation de telles réparations ? La commune propriétaire de l’église peut-elle installer des fresques, tableaux, statues ou les retirer sans obtenir mon accord ? L'installation d'une antenne-relais dans le clocher d'une église nécessite-t-elle l'accord du desservant ? La commune propriétaire peut-elle l’imposer ?
Le cas de la désaffectation des églises se pose de plus en plus souvent : à quelles conditions peut-il être procédé à une désaffectation et à un déclassement des biens du domaine public cultuel ? La sécurité des personnes est une préoccupation grandissante : suis-je responsable en tant que curé affectataire lorsqu’une personne se blesse dans l’église du fait de la vétusté des lieux ? L’intervention des forces de l’ordre pose aussi des questions : ont elle le droit d’entrer dans une église et d’arrêter la célébration d’un office ? Si oui, dans quelles conditions ?
La référence à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État est omniprésente dans le débat public sur la laïcité. Dans quels cas précis fait-elle autorité ?
Oui, la loi de 1905 fait référence, mais un certain nombre de cas pratiques sont soulevés par son interprétation. Par exemple, à quelles conditions puis-je organiser une manifestation du culte sur la voie publique sous le régime de la loi du 9 décembre 1905 ? Comment organiser des processions religieuses dans les rues autour de mon église ? Mais encore, qu'est-ce qu'un culte aux yeux de la République ? Un lieu de culte est-il un équipement public ? Qu’est-ce que l’Église catholique pour la justice ? L’Église catholique est-elle une association ? Quel est le statut juridique de la paroisse en droit français ? La loi de 1905 autorise-t-elle les collectivités publiques à accorder des aides aux cultes ? L’interdiction pour l’État de reconnaître et de financer un culte : quelle valeur juridique aujourd’hui ? La loi de 1905 est-elle toujours adaptée ? Quel est le régime fiscal des associations diocésaines ? Quel est le régime des donations aux associations diocésaines ? Quel est le régime des offrandes de messe et des dons dans les troncs ?
Pour résumer, avez-vous cherché à recenser le plus de situations possibles dans lesquelles le droit fait difficulté ?
Cet ouvrage est destiné essentiellement, à partir de cas de jurisprudence récents, à attirer l’attention des responsables ecclésiaux sur les points de vigilance afin de les aider à adopter les bons réflexes juridiques dans les situations rencontrées, multiples et très variées, qui se posent à eux. Il existe de nombreux ouvrages excellent sur le sujet ; l’objectif n’est pas d’être exhaustif ni de répondre à l’ensemble des questions posées ci-dessus, mais d’attirer l’attention sur les sujets juridiques afin de leur permettre ensuite d’approfondir la question.
Défendre l’Église, par Me Laurent Delvolvé, Bookelis, mai 2021.