La victoire a parfois un goût amer. Shagufta Kausar et son époux, Shafqat Emmanuel, un couple de chrétiens pakistanais, ont été acquittés le 3 juin par la Haute Cour de Lahore (Pakistan). Ils ont été accusés de blasphème en 2014 et condamnés à mort car ils auraient envoyé des SMS insultant le prophète. Selon la justice, le mari avait envoyé ce message controversé à partir du téléphone de sa femme. Une thèse rejetée par le couple qui prétendait avoir perdu le portable en question au moment de l’envoi de ce texto par une tierce personne et qui apparaît d’autant plus invraisemblable que les époux sont analphabètes. Niant toutes les accusations, ils ont fait appel auprès de la Haute Cour de Lahore et ont réussi, après plusieurs longues années, à obtenir un acquittement complet pour ne pas avoir commis cet acte.
Qui va payer pour les fausses accusations ? Qui rendra huit années de vie à des enfants qui ont grandi sans parents et sans scolarité régulière ?
"Nous sommes heureux de cette issue positive", s’est réjoui l’avocat catholique Khalil Tahir Sandhu, membre de l'équipe de défense qui a mené le processus d’appel devant la Haute Cour de Lahore. "Justice a été rendue mais qui rendra ces années de vie à un couple innocent ? Qui va payer pour les fausses accusations ? Qui rendra huit années de vie à des enfants qui ont grandi sans parents et sans scolarité régulière ? Il est nécessaire de revoir le mécanisme faussé qui conduit à de telles conséquences et génère tant de souffrances dont personne ne sera identifié comme responsable".
Au-delà des accusations de blasphème souvent lancées de manière abusive afin d’assouvir des règlements de compte ou afin de cibler des minorités religieuses, le cas de Shagufta Kausar et Shafqat Emmanuel est particulièrement emblématique. Leurs conditions de détention ont été exécrables : Shagufta Kausar, qui a remplacé Asia Bibi dans sa cellule de la prison pour femmes de Multan peu après son départ, a été isolée de son mari pendant plusieurs années. Son mari, Shafqat Emmanuel, paraplégique, n’a quant à lui pas reçu de soins adéquats lors de son emprisonnement.
"La décision rendue met fin au calvaire de sept ans d’un couple qui n’aurait jamais dû être condamné à mort", a salué pour sa part l’ONG Amnesty International. Les affaires de "blasphème" sont souvent fondées sur des preuves peu convaincantes, dans un contexte qui rend impossible l’équité des procès, ce qui souligne l’importance de ce verdict."
"Ce verdict est une défaite pour tous ceux qui abusent des lois sur le blasphème, pour les milieux fanatiques et pour les dirigeants politiques qui nient l’existence de cas de blasphème fondés sur de fausses accusations, des abus ou appelés à des fins inappropriées ; c'est aussi une défaite pour ceux qui diffament les organisations qui luttent pour les droits des minorités religieuses", s’est réjoui le directeur adjoint de la Commission nationale "Justice et Paix " (CCJP) des Évêques catholiques du Pakistan, Kashif Aslam. "Au Pakistan, les gens abusent de la loi sur le blasphème pour des querelles ou des rivalités personnelles ; beaucoup de ceux qui sont accusés de blasphème sont condamnés à mort, il y a même des exécutions extrajudiciaires. Des règles et des mécanismes devraient être mis en place pour garantir que la loi ne soit pas détournée et exploitée".