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Éloge de la tendresse

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Benoist de Sinety - publié le 30/05/21
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Que proposer d’autre à la logique commerciale d’un bonheur humain qui s’achète et qui se vend, sinon ce qui demeure gratuit et que nul ne peut contraindre ?

Le bruit des balles qui retentissent depuis ce dimanche sur les cours de Roland-Garros parviendra-t-il à étouffer les bouffées d’angoisses et de colères qui menacent dans le pays ? On l’a beaucoup entendu : les jours heureux sont-ils réductibles à l’amusement que procure un match de foot, à l’excitation trépidante qui s’empare des corps au son d’un concert, ou même à l’ivresse estivale qu’annoncent les terrasses de café ? "Du pain des et jeux" : pourquoi ne tomberions-nous pas dans le même panneau que les antiques Romains, à la culture cependant glorieuse ? Sans verser dans l’excès des éternels grincheux qui grommellent devant les foules joyeuses levant leurs verres ou qui applaudissent aux exploits d’un sportif, conscients que ces joies-là sont bien humaines et donc, en cela, nécessaires à nos équilibres naturels, et si nous essayions de faire l’éloge d’autre chose que de l’excitation que nous procurent nos cartes bancaires ou nos portefeuilles pas toujours bien épais ?

Au Japon, enfin, le ton monte chaque jour chez un peuple plutôt, dit-on, soucieux de l’image qu’il donne de lui-même : ils sont toujours plus nombreux à demander le renvoi des prochains Jeux Olympiques aux calendes grecques. Pas simplement, comme on le commente légèrement, par peur d’un surcroit de virus. Mais parce que, tout bien réfléchi, il apparaît plus raisonnable de dépenser argent et énergie à lutter contre la propagation de la maladie plutôt qu’à organiser un évènement dont on sait bien que l’on peut, provisoirement, s’exempter. On verra bien si les arguments nippons mettront en jeu la tenue de l’Euro de football mais il y a fort à parier que les intérêts économiques puissants trouvent les arguments généreux pour contourner la contestation. Par le silence d’abord, comme jusqu’à ce jour il a été possible de ne pas trop parler de la coupe du monde de foot à venir et des conditions inhumaines, "écologicides" et criminelles dans lesquelles elle est organisée.

En m’exposant au regard d’autrui, je décide de ne me confier qu’en la puissance de l’amour qui en moi me souffle d’oser.

Oui, la devise latine qui se répercute depuis des millénaires dans les conseils que susurrent les éminences grises aux puissants, lorsqu’il s’agit de calmer les émois populaires ou les "tensions sociales" comme on dit aujourd’hui, cette devise-là semble avoir de beaux jours devant elle. Sauf si une alternative lui est opposée. Car on ne peut critiquer si l’on ne propose rien de viable et de tangible. Et que proposer d’autre à la logique commerciale d’un bonheur humain qui s’achète et qui se vend, sinon ce qui demeure gratuit et que nul ne peut contraindre ?

Et s’il s’agissait en ces jours printaniers, de faire l’éloge tout simple, tout humble, de la tendresse ? La tendresse qui habite l’âme de tout homme et qui cherche toujours à s’exprimer pourvu que nos pudeurs, nos principes ou nos timidités ne la retiennent pas. Non qu’il faille débrider nos sens, mais peut-être en avoir un peu moins peur. Décider que dire à l’autre qu’on l’aime ou le lui montrer n’est en aucun cas signe de faiblesse, ou plutôt que cette faiblesse-là est gage de force. Car en m’exposant ainsi au regard d’autrui, je décide de ne me confier qu’en la puissance de l’amour qui en moi me souffle d’oser. Et j’accepte de ne plus dépendre de l’apparence que je me construis jour après jour pour correspondre à cet homme, cette femme, qui doit être performant, exemplaire, irréprochable, et rentable.

Laisser l’Amour faire son œuvre, ne pas m’y dérober, et découvrir que c’est ainsi que je deviens vraiment fort, que la peur de la faille ne me retient plus, que l’inquiétude d’être démasqué moins grand que je ne le prétends est alors anéantie. Oui, la tendresse — si elle est ce langage des mots et des corps qui me permet de dire et d’exprimer l’Amour qui vit en moi — est sans nul doute la grammaire qui donne au monde un nouveau sens et ouvre plus sûrement que les slogans et les diatribes, à un monde renouvelé.

En ce jour où les mères sont fêtées, il est passionnant de regarder comment nous sommes convoqués à un carrefour autour de ce sujet : si la fête est encore célébrée alors que son histoire devrait être irrémédiablement, pour beaucoup, entachée de ses origines vichystes, il serait trop facile de n’y voir qu’une logique financière. Comme si son aspect commercial permettait aux plus pudibonds d’entre nous d’oublier son pedigree historique. Il me semble que si ce jour fait tant l’unanimité parmi nous c’est parce qu’il est l’une des dates phares de cet éloge de la tendresse auquel nous aspirons. La mère ne devrait-elle pas être pour chacun, celle dont le visage, le premier, nous révèle si simplement que nous sommes faits, dès nos premiers instants de vie terrestre, pour accueillir l’Amour et pour le partager ? N’est-elle pas le prophète d’une tendresse qui est la condition pour que la vie soit, pour qu’elle grandisse ? Et qu’elle porte du fruit, bien plus sûrement que le bruit de balles, où qu’il se fasse entendre ?

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