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« Faire face » sans se voiler la face

VISAGE MASQUE
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Henri Quantin - publié le 19/05/21
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Et si demain, « se voiler la face » devenait la norme ? Pour le philosophe Martin Steffens, la plus juste résistance à l’inhumain est la fragilité d’un visage.

« Il pourrait entrer dans les habitudes en Occident… » Cela ne semblait pas une provocation. Plutôt une phrase banale pour clore un entretien au cours duquel l’essentiel avait été dit. En tout cas, ce n’est pas cela qui a été retenu dans la déclaration de Jean Castex au Parisien. Rivés sur le calendrier du « déconfinement », impatients de savoir à quelle date les théâtres et les terrasses pourraient rouvrir, les journalistes n’ont guère relevé cette remarque. Peut-être n’a-t-elle heurté personne. 

De quoi le Premier ministre parlait-il ? De nos visages voilés. Tranquillement, sans état d’âme, comme si le propos n’avait aucun enjeu, il a déclaré : « Le port du masque sera sans doute, à l’avenir, un moyen de protection naturel au-delà de la Covid. » Même pas de conditionnel, ici, mais un indicatif, le mode du réel. Le « sans doute » est à l’évidence plus proche de « sans aucun doute » que de « peut-être ». Jean Castex apporte certes une petite nuance : « Évidemment, pas de façon permanente, obligatoire, partout et tout le temps, comme aujourd’hui. Mais il pourrait entrer dans les habitudes en Occident, notamment en période de grippe hivernale. » En somme, sortir de l’épidémie est urgent, mais sortir de l’extension des territoires sans visage est très secondaire. Chez beaucoup, l’habitude est déjà prise, d’ailleurs. Qui n’a vu de loin une personne seule marcher masquée, dans une grande rue vide, un chemin de rase campagne ou même au sommet d’une montagne, comme si la chose allait autant de soi que de porter un col roulé ?

Annonçant son nouveau livre, co-écrit avec Pierre Dulau, Martin Steffens fait ce rappel judicieux : « Le visage est ce bien que l’on offre quotidiennement puisqu’il est, le temps d’un face-à-face, la partie de notre corps, la seule, que notre interlocuteur perçoit et que nous ne voyons pas. » Le titre de l’œuvre, Faire Face, est prometteur. Il dit joliment que la plus juste résistance à l’inhumain est la fragilité d’un visage.

Faire Face : lutter contre l’anonymat sanitaire, les têtes interchangeables, le sourire empêché, la parole entravée. Faire Face, car le visage est offrande et révélation. Ce n’est pas pour rien que les meurtriers, comme les machines, sont sans visage. Faire Face ou ne pas se voiler la face. Cela pourrait devenir un seul et même témoignage, au risque de recevoir les mêmes insultes, voire les mêmes crachats, que Celui dont nous contemplons la sainte Face défigurée, ce visage que ses bourreaux s’amusaient à voiler. Exagération de victimaire, prenant la pose, la palme du martyre à la main ? Peut-être, mais face aux multiples assauts d’une déshumanisation voilée, des hommes qui jugent anodin de se promener masqués ne sont pas loin d’avoir déjà perdu la face.

Faire face, Le visage et la crise sanitaire, par Martin Steffens et Pierre Dulau, Ed. Première partie, 2021.

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