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La dernière prière de Jésus

The Agonie of the garden
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Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 15/05/21
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Avant de donner sa vie par amour des hommes, l’Évangile de ce dimanche nous rappelle que Jésus a prié pour l’unité de l’Église dans la vérité, par le don de l’Esprit saint.

Alors que la Croix se dessine déjà à l’horizon, Jésus prie le Père à l’intention de ses disciples "pour qu’ils soient uns" (Jn 17, 11b), et pour qu’ils soient "sanctifiés dans la vérité" (Jn 17, 19). L’unité de l’Église et sa sanctification dans la vérité sont le cœur de la prière que Jésus adresse au Père alors qu’il sait qu’il va mourir. C’est la prière du condamné, c’est donc la plus importante. Cette prière ne sera d’ailleurs réalisée qu’avec la Pentecôte et par le don de l’Esprit-Saint, ce pourquoi la liturgie nous la donne à méditer entre l’Ascension et la Pentecôte : c’est l’Esprit saint qui fait l’unité des chrétiens entre eux, et c’est aussi l’Esprit saint qui mène les enfants de Dieu vers la vérité tout entière. Nous devrions donc nous réjouir. Et pourtant…

L’unité et la vérité sont deux grands mots qui font peur. On soupçonne l’embrigadement totalitaire, le mensonge idéologique. On se souvient que le IIIe Reich proclamait "ein Volk, ein Reich, ein Führer". On se souvient que le journal officiel de l’URSS s’appelait la Pravda, c’est-à-dire « la vérité ». L’injonction à l’unité conjuguée à la prétention à la vérité, voilà qui semble être la garantie du malheur et du désastre pour nos esprits marqués par l’histoire tragique du XXe siècle. 

L’Église peut-elle encore appeler à l’unité et prétendre à la vérité ? Et peut-elle être écoutée ? Car enfin, nous n’aimons pas la vérité...

Afin que le tableau soit complet, Jésus dit au Père : "Ta parole est vérité" (Jn 17, 17), ce qui est doublement scandaleux : d’abord parce que la Parole du Père, le Verbe de Dieu, c’est lui, Jésus. Voilà qu’un homme, situé historiquement et géographiquement en un point minuscule du temps et de l’espace, prétend être la vérité, pour tous les temps et tous les lieux. Qui plus est, cette vérité est une parole, faite chair, certes, mais une parole tout de même, c’est-à-dire la chose la plus dévaluée qui soit dans notre époque de propagande, de publicité, de fake-news et de commentaire perpétuel.

L’Église peut-elle encore appeler à l’unité et prétendre à la vérité ? Et peut-elle être écoutée ? Car enfin, nous n’aimons pas la vérité. Saint Augustin l’observait : les hommes aiment la vérité dans la mesure où elle est bonne, mais ils la haïssent dans la mesure où elle les convainc de leur péché. La même vérité qui illumine le réel qui nous entoure et nous donne de le connaître est aussi cette lumière insupportable qui nous accuse. Si la vérité ne faisait qu’éclairer le monde, on pourrait encore s’en arranger. Mais la vérité me rend moi-même visible à mes propres yeux, elle braque sur moi le faisceau de ses projecteurs et me voilà nu comme un ver, honteux comme Adam après la faute originelle. Et l’histoire se répète. Comme Adam et Ève, je suis incapable d’assumer ce brutal éclairage porté sur moi. Pour ne pas rester seul dans ce face-à-face insupportable avec la vérité, voilà que j’accuse mon voisin, mon frère, mon épouse. Le refus de la vérité entraîne mécaniquement avec lui la destruction de l’unité. La machine est bien rodée, elle a été conçue par le père du mensonge, Satan lui-même, qu’on appelle aussi le diviseur.

La Parole de Dieu qui s’est faite chair en Jésus-Christ doit s’inscrire en lettres de feu dans ma propre chair ; si ça ne brûle pas un peu, si ça ne consume rien en moi, c’est que je ne l’ai pas reçue !

Nous en sommes là. Même dans l’Église, nous succombons au culte contemporain de la sincérité et de l’authenticité, plus confortable que la fidélité au Christ : "L’important, c’est d’être sincère, en accord avec soi". Ou alors, nous mesurons notre adhésion à la vérité au bien qu’elle nous fait : "Si ça lui fait du bien, alors pourquoi pas ?"

Mais si la vérité est la Parole de Dieu que le Christ est en sa personne et que nous entendons proclamer dans la liturgie, est-elle là pour me faire du bien ? C’est un glaive de feu, une épée à deux tranchants ! La Parole de Dieu qui s’est faite chair en Jésus-Christ doit s’inscrire en lettres de feu dans ma propre chair ; si ça ne brûle pas un peu, si ça ne consume rien en moi, c’est que je ne l’ai pas reçue !

Et pourtant, il y a une infinie douceur dans le regard que Jésus porte sur nous. Ce qui rend supportable la prétention de Jésus à être lui-même la vérité, ce qui rend tolérable la lumière qu’il braque sur notre cœur, c’est qu’il fait tout cela depuis la Croix, dans l’offrande de sa vie. Les chars soviétiques et la propagande nazie sont bien loin ! L’Église peut proclamer la vérité qu’est le Christ si elle accepte de la proclamer en étant crucifiée avec lui. Nous autres chrétiens pouvons proclamer la vérité si nous sommes cloués sur le bois par amour. Dépouillés de tout, sauf de notre appartenance au Christ, cloués sur la Croix avec lui, nous pouvons parler.

Si d’ailleurs la vérité est une personne — le Christ — et non pas une idéologie ou même un catéchisme, alors il n’y a aucun risque de s’en croire le propriétaire. On ne possède jamais une personne. Mais ce n’est pas là un relativisme, au contraire. Car si la vérité est une personne — le Christ — et qu’à ce titre nous ne saurions la posséder, en revanche parce que nous aimons Jésus et voulons vivre avec lui, alors nous conformons notre vie à la sienne, nous entrons dans ses jugements. Il se trouve qu’il les formule assez clairement dans l’Évangile. Et l’Église, qui est son corps mystique, les fait connaître à qui veut bien les entendre.

L’exigence en est d’autant plus forte. Mais elle porte en elle-même sa récompense. Car alors nous sommes loin de « détenir » la vérité — le terme indique assez qu’une telle prétention enfermerait la vérité dans une prison — mais nous sommes libérés par cette vérité. Le Christ, Parole de Dieu qui éclaire nos cœurs jusque dans leur misère et leur péché, nous relève et nous libère. Et il fait l’unité entre nous par le lien de l’amour, par le don de l’Esprit. Non plus une complicité dans le crime, non plus un consensus mou par défaut de conviction véritable, mais une fraternité scellée dans l’amour du Christ.

À l’approche de la Pentecôte, demandons à l’Esprit saint qu’il vienne nous sanctifier dans la vérité du Christ et nous confirmer dans l’unité. Demandons-lui d’être brûlés par la vérité et consumés dans l’amour. Et demandons-lui que ce brasier enflamme le monde entier.

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