Une fois l’an, et une fois l’an seulement, chaque 16 mars, le palais Massimo, sur le Corso Vittorio à Rome, ouvre ses portes aux fidèles qui s’y pressent afin de célébrer l’un des plus éclatants miracles de saint Philippe Néri : la résurrection du fils de la maison. Né à Florence le 22 juillet 1515 dans une riche famille, Filippo dédaigne très tôt l’héritage qui l’attend et la vie facile qui lui est destinée. Intelligence brillante, remarquablement doué pour les études, philosophe et théologien d’exception, il ne s’attache pas aux diplômes, ne se soucie pas de faire carrière, de s’élever dans la société, s’enrichir, contracter une brillante union. Comme il le dira un jour à un jeune notable venu lui exposer ses plans de carrière et qui, à la fin de l’entretien, entrera dans les ordres : « Et après ? ».
Pour Philippe, l’essentiel est ailleurs, et les seuls trésors à amasser doivent l’être en vue de la vie éternelle, vérité trop négligée par une humanité qui semble persuadée de rester définitivement ici-bas. « Et après ? » Cette angoisse de voir les pécheurs se perdre et courir à la damnation hante Philippe, mais le désole plus encore de constater combien les hommes négligent l’amour de Dieu et le prix du sacrifice du Christ, lui qui entre en extase dès qu’il lit le récit de la Passion et que l’amour divin enflamme au point de lui faire s’écrier, épuisé de joie : « Assez, Seigneur, assez ! ». Rien d’étonnant à ce qu’avant et après son ordination, à 36 ans, car il ne s’estimait pas digne du sacerdoce, tout son apostolat ait été orienté autour de deux grands axes : éloigner la jeunesse du péché et absoudre les pécheurs.
Un saint qui ne se prend pas au sérieux
Philippe Néri est un apôtre de la jeunesse. Il parcourt Rome à la recherche de l’enfance et de l’adolescence en danger, montre la même compassion aux gamins des rues, aux jeunes truands d’avance promis aux galères, et aux fils de l’aristocratie que guettent d’autres dangers, non moins redoutables. Capable de réunir ces enfants et adolescents issus de tous les milieux autour d’un but et d’un idéal communs, Néri ne leur enseigne pas une piété triste. Si lui-même s’inflige maintes pénitences, il les incite à rire, s’amuser, jouer, profiter de leurs belles années, pourvu qu’ils n’offensent pas Dieu. D’un tempérament joyeux, il plaisante facilement, se moque de lui-même. On connaît sa prière de chaque matin : « Seigneur, fais bien attention à Philippe aujourd’hui ! Si Tu ne veilles pas sur lui attentivement, il est bien capable de se faire mahométan avant ce soir ! »
Il ne se prend pas au sérieux, ne s’enfle pas de ses succès, accepte avec humilité les nombreux outrages qu’il reçoit et oppose la même sérénité aux bonheurs et aux malheurs.
Se reposer sur Dieu, c’est la leçon de tous les saints et Philippe se l’applique à lui-même. C’est certainement pourquoi il ne se prend pas au sérieux, ne s’enfle pas de ses succès, accepte avec humilité les nombreux outrages qu’il reçoit et oppose la même sérénité aux bonheurs et aux malheurs. Se sauver est la seule affaire sérieuse. Il le dit et redit à ses pénitents, confesseur inlassable qui n’hésite pas, pour illustrer ses propos, à user de conseils décalés, comme le jour où il donne pour pénitence à une médisante d’aller plumer un poulet sur le Pincio et de laisser les plumes s’envoler, puis lui intime l’ordre, à la confession suivante, de les récupérer une à une, mission impossible qui fait comprendre à la malheureuse l’égale impossibilité d’effacer les fautes contre la réputation du prochain…
Paolo ! Réveille-toi !
Rien d’étonnant à ce qu’on l’aime, ni à ce que l’on se confesse volontiers à lui. Nombreux sont les jeunes qui le chargent de leur direction spirituelle. Parmi eux, Paolo Fabrizio Massimo, garçon prometteur d’une quinzaine d’années. Hélas, en ce début 1583, Paolo ne quitte plus le lit. Malade depuis des semaines, il s’affaiblit de jour en jour sans que les médecins parviennent à adoucir ses maux. Sa seule consolation est la visite quotidienne de Philippe Néri.
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La réputation de thaumaturge de Philippe n’est plus à faire et nombreux sont les malades guéris non seulement par sa présence mais par le simple contact d’un linge lui appartenant mais il ne semble pas que Paolo, résigné, ait demandé à recouvrer la santé. Il ne désire plus qu’une sainte mort et le bonheur d’avoir Philippe près de lui pour l’assister à ses derniers instants. Or le 16 mars 1583, alors que l’état du garçon s’est encore dégradé, Philippe est absent, introuvable et, lorsqu’il arrive enfin, bien plus tard qu’à l’accoutumée, Paolo a rendu l’âme, seul, sans avoir pu se confesser une dernière fois. À cette nouvelle, Philippe ne se trouble ni ne s’afflige. Il entre dans la chambre où gît le jeune mort et d’une voix forte, s’écrie : « Paolo ! Réveille-toi ! »
Il se rendort paisiblement
À la stupeur générale, Paolo ouvre les yeux, se redresse. Il est en vie et peut à loisir se confesser, comme il le désirait tant. L’absolution donnée, Philippe le regarde avec douceur et lui demande s’il souhaite guérir et rester en ce monde, où tant de maux et de périls le menacent, ou se rendormir tout de suite, dans la certitude du Salut et de la joie éternelle. Paolo répond que, de l’autre côté, sa mère et ses sœurs défuntes l’attendent, et Notre-Dame, et le Christ, et le bonheur céleste. Puis il se rendort paisiblement dans la mort.
L’on appelle cela un miracle de répit, destiné à permettre l’accès immédiat au paradis d’une âme en état de grâce. Loin d’être affligeante, la mort de Paolo Massimo devient signe, promesse. Chaque 16 mars, une messe solennelle est célébrée, selon la forme extraordinaire, dans la chambre du miracle de saint Philippe Néri devenue chapelle, rappel que la vraie Vie n’est pas de demeurer en cette vallée de larmes.
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