Très souvent invoquée, rarement comprise, la loi de 1905 séparant les Églises et l’État naquit dans la douleur. Le chef de file des élus catholiques ralliés à la République, Albert de Mun, s’y opposa, avant que l’Église finisse par s’en accommoder.Alors que la loi contre le séparatisme visant à lutter contre l’islamisme a étonnamment invité l’Église catholique dans l’arène de l’Assemblée nationale, quelques éclaircissements semblent nécessaires sur un évènement invoqué souvent à tort et à travers aujourd’hui : la séparation de l’Église et de l’État de 1905, qui souffre d’une lecture binaire. La querelle des inventaires est restée dans les mémoires comme un haut fait de l’anticléricalisme et du radicalisme de la IIIe République, vécu comme une persécution par les catholiques en leur temps. Un moment dramatique pour l’Église de France au cours duquel les autorités de police, aidées des pompiers, défonçaient les portes des églises afin de recenser les biens de l’Église…
Libéraux et intransigeants
Pour mieux comprendre cette période difficile de notre histoire, l’historien Édouard Coquet s’est penché sur l’une des grandes figures du catholicisme français de l’époque, à travers ses carnets intimes : Albert de Mun. Connu pour son engagement en faveur d’un catholicisme social, de Mun était un homme politique engagé, député légitimiste du Morbihan (1876-1914). Chef de file du Ralliement, il se « rallie » à la République à la demande du pape Léon XIII (1878-1903), mais s’oppose quelques années plus tard à la loi de séparation de l’Église et de l’État. Il est l’un des porte-paroles catholiques les plus éloquents de la Chambre.
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Contrairement aux idées reçues, le catholicisme français de l’époque était divisé sur le plan politique. Il constituait même une mosaïque très complexe : on rencontrait ainsi des légitimistes et des libéraux, des « politiques » favorables à une stratégie de conciliation avec le pouvoir ou au contraire des intransigeants souhaitant soumettre l’engagement dans la cité au rétablissement de la monarchie. Entre ces deux tendances, la majorité considérait la République comme un fait acquis, fort peu engagée dans les débats.
Vers l’accommodement
Pour ces catholiques, il y aura deux façons d’aborder la loi de séparation de l’Église et de l’État. La première était de s’en tenir à la lettre en la considérant comme une privatisation du fonctionnement institutionnel de l’Église. De celle-ci, la papauté va inévitablement sortir renforcée en recouvrant une pleine liberté. La loi organisait ainsi l’exercice des cultes dans le domaine public, en cessant cependant de s’occuper de l’organisation de l’Église : les ministres du culte n’étaient plus fonctionnaires, la papauté était libre de nommer les évêques, etc. L’autre façon était de s’arrêter à l’esprit de la loi : celui-ci était plus clivant car porté par une gauche qu’unissait l’anticléricalisme. Or si l’Église de France s’est accommodée de la loi de séparation, c’est bien parce qu’elle fut une loi organisant les cultes en France. De Mun pensait au contraire que la séparation allait provoquer un affrontement permanent entre les deux parties : il s’est trompé. Son œuvre n’en reste pas moins essentielle dans la compréhension d’un des moments le plus importants de l’histoire contemporaine de la France.
Édouard Coquet, Albert de Mun et la séparation de l’Église et de l’État (1904-1907), Cerf, 2019, 216 pages.