« Je te donne ma parole » : quel est l’adulte qui ne se souvient qu’enfant, en ultime argument, ce serment suprême s’échangeait dans la cour de récréation lorsqu’il fallait solenniser la promesse ? Non qu’il s’agisse de sujets graves ou importants, mais il fallait donner tout son poids à l’argument, à la nouvelle, au récit. Et comment dire mieux les choses que de donner sa parole, « d’homme » ou « d’honneur » selon les jours et les témoins ?
La parole est sacrée : pas simplement pour les hommes religieux, mais pour les hommes tout simplement. Elle engage, elle assure, rassure : elle vaut tous les actes puisqu’elle les certifie. C’est elle, cette parole, qui garantit l’amitié et aussi l’amour, c’est elle qui désigne le réel et dessine la beauté de l’inconnu. Elle porte la lumière qui définit les contours de toute chose : en les nommant, elles adviennent.
Personne ne croit plus personne
C’est bien l’épreuve dans laquelle nous nous trouvons collectivement captifs, quand les paroles ne valent plus. Il fut un temps où l’on disait que « les promesses ne comptent que pour ceux qui y prêtent foi ». Même cela n’est plus tout à fait vrai : personne ne semble ne plus croire personne. La tentation serait de désigner d’abord la faillite de la parole « d’en-haut », celle des dirigeants, des politiques, des responsables. La communication, qui est à la vérité ce que Jeff Koons est à l’art, devient l’unique langage public.
Il serait trop simple de reprocher aux autres ce que nous refusons de vivre nous-mêmes. Qu’en est-il, au fait, de notre parole ? Quel poids lui donnons-nous ?
En rétrécissant le champ sémantique, la pensée disparaît, l’analyse avec elle. Ne reste plus alors que le message, le plus simple, le plus infantile, le plus niais aussi. Mais ce que les myriades de communicants fabriquent chaque jour pour nos Puissants, n’est que le reflet de nos propres désertions. Il serait trop simple de reprocher aux autres ce que nous refusons de vivre nous-mêmes. Qu’en est-il, au fait, de notre parole ? Quel poids lui donnons-nous ?
Le salut advient par la Parole
L’expérience commune est que nous trahissons plus souvent nos paroles que nous n’y sommes fidèles. Car nous découvrons bien vite, dès notre petite enfance, que nos promesses font souvent long feu, que nos serments durent le temps de l’innocence. C’est bien pour cela que le Salut advient par la Parole. Précisément parce que le remède naît de la blessure, qu’il la recouvre et la guérit. Si le Verbe se fait chair, c’est pour permettre que notre chair puisse tenir sa promesse.
C’est cette soif qui habite nos cœurs : qui donc nous aidera à être fidèles ? qui donnera à notre parole un poids d’éternité ? Celui qui expirant, après avoir une fois pour toutes présenté cette soif à son Père, accomplira en sa Pâques la promesse de Vie. C’est de cet accomplissement que nous sommes témoins en ce temps où les mots semblent se vider de sens et où les phrases sonnent parfois si creux. Non des accusateurs qui désignent et qui grognent, mais des hommes qui travaillent et qui luttent pour que de leurs bouches sortent des paroles qui soient pour le monde un signe de cette Vie.