Tout détruire pour tout recommencer, c’est une tentation à laquelle Dieu ne succombe pas, car l’amour nous donne jusqu’au bout sa chance et sa miséricorde.
Quand on regarde notre humanité, on se demande parfois pourquoi Dieu continue à la maintenir dans l’être. Violences, guerres, génocides, exploitations, meurtres, vols, viols peuplent les revues de presse quotidiennes. Il y a des gens bien, c’est sûr, mais pesant la masse de cette humanité, se lamentant sur les structures de péchés qui subsistent durablement, il serait facile d’être tenté par un grand reset général, d’appuyer sur le bouton « stop », d’effacer le fichier.
La méchanceté de l’homme
C’est un peu l’idée qui préside au récit du déluge dans le Genèse. « Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre, et que toutes les pensées de son cœur se portaient uniquement vers le mal à longueur de journée. Le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre ; il s’irrita en son cœur et il dit : “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés — et non seulement les hommes mais aussi les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel — car je me repens de les avoir faits” » (Gn 6, 5-7).
L’amour, quand il est amour et non soumission ou crainte, est une force qui veut tout supporter et qui est déraisonnable.
On connaît la suite de l’histoire et il nous faut nous rappeler de la fin : « Le Seigneur respira l’agréable odeur (du sacrifice de Noé), et il se dit en lui-même : “Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. Tant que la terre durera, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit jamais ne cesseront” » (Gn 8, 21-22). Pourquoi Dieu, dans ce récit de sagesse, prend-il la résolution de ne plus frapper les vivants et de s’accommoder de ce cœur de l’homme qui est enclin au mal ? Je crois qu’il est question ici de l’amour de Dieu pour l’humanité que le texte veut nous révéler, une fois de plus, d’une autre manière.
Une force déraisonnable
Lorsque l’on aime, on est prêt à tout supporter. Regardons l’amour de parents auxquels les enfants peuvent faire pis-que-pendre et qui pourtant ne ferment pas la porte, restent au service, attendent le retour et la conversion. L’amour, quand il est amour et non soumission ou crainte, est une force qui veut tout supporter et qui est déraisonnable. L’amour de Dieu pour notre humanité est dans l’ordre de cette déraison mais elle est cohérente avec ce qu’Il est : « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 15). Nous avons l’image d’un Dieu de justice lequel, dans une stricte justice, en pesant le pour et le contre, raserait notre humanité sur-le-champ. Mais Dieu n’est pas que juste il est surtout amour et ne peut renier ce qu’il est. Il aimera jusqu’au bout, il a aimé jusqu’à donner son Fils que nous avons cloué sur le bois de la Croix. Si notre humanité subsiste malgré la somme d’horreurs quotidiennes, ce n’est qu’en raison de cet amour déraisonnable pour chacun de nous auquel Dieu donne jusqu’au bout sa chance et sa miséricorde.
La tentation du retour à zéro
Mais ce récit de la Genèse peut aussi nous éclairer sur notre propre vie. Parfois nous pouvons être tentés par ce mythe du déluge. On rase tout, on repart à zéro, on détruit tout ce que l’on a créé pour rebâtir quelque chose de neuf. Certains, dans la crise du milieu de vie, lors d’un deuil, d’une rupture, d’un ennui, d’un choc ou d’une déception sont séduits par ce désir de tout recommencer à partir de rien. Est-ce qu’ils se fuient eux-mêmes ? Ils se retrouveront pourtant identiques bientôt. Est-ce qu’ils fuient notre monde ? Ils le retrouveront comme il est, même au bout du monde. Ce récit nous alerte sur une tentation de notre nature humaine d’opérer de grands reset dans notre vie, de grandes remises à zéro qui ne changeront rien. C’est en nous fondant sur ce que nous sommes, avec nos qualités et nos défauts, que nous continuerons à bâtir, dans la confiance. Ce n’est pas en niant le réel, en voulant le gommer, que l’on peut recommencer : c’est en l’assumant, en le convertissant aussi, que nous pouvons avancer.
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