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Le pardon, plus nécessaire que jamais

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Jean-Michel Castaing - publié le 31/01/21
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À temps et à contretemps, malgré les sarcasmes, le chrétien plaide la nécessité vitale du pardon donné et reçu. De nombreux exemples en démontrent la puissance de guérison et de renaissance. Souvent, les chrétiens sont pris à parti au sujet de leur utilité dans la société. « Quels avantages pouvez-vous nous procurer, à nous qui ne sommes pas religieux ? » leur demande-t-on. À l’heure où les religions sont poliment mais fermement priées de cantonner leur sphère d’influence à la vie privée, un complexe peut venir déstabiliser le chrétien en lui soufflant à l’oreille cette musique délétère : « Oui, hors de la question de Dieu, je ne suis d’aucune utilité à mes compatriotes ! » Au rebours d’une telle autodépréciation, le disciple du Christ doit tenir ferme et affirmer clairement que certaines de ses lumières, héritées de son Maître, sont particulièrement précieuses pour la cité.

Je ne parle pas ici de sa contribution possible au débat sur les sujets sociétaux. Je fais plutôt référence à cet angle mort de la vie de la collectivité politique que constitue le pardon. Car on aurait tort de sous-estimer la portée de la disposition à pardonner en la réservant à la vie spirituelle des croyants. Si le Christ, Sagesse éternelle, en a fait un des centres de son enseignement tout en montrant lui-même l’exemple, cela démontre que le pardon est une pratique vitale pour toute société et que son terrain d’application transcende le domaine strictement religieux. Et si la principale maladie de nos sociétés était le manque de pardon ? Et si la préconisation du pardon de la part des chrétiens représentait à elle seule une œuvre de salut public ? Les arguments ne manquent pas en faveur de l’urgence de pardonner. En voici quelques-uns.

Les conflits sont inévitables entre les hommes

La première lettre de saint Jean nous apprend que tous les hommes sont pécheurs (1 Jn 1,8). Sans entrer dans le détail de la nature du péché, reconnaissons que ses conséquences se traduisent par des rapports teintés de conflictualité entre les hommes : jalousie, concurrence, discorde, envie, ressentiment, etc. Or, ces (mauvaises) dispositions en restent rarement au stade du ressenti, renfermées dans l’intériorité de ceux qui les nourrissent. Elles s’extériorisent inévitablement. Ainsi se manifestent injures, menaces, calomnies, médisances, tromperies, mais aussi guet-apens, coups et blessures, etc. En entrant dans le monde, le péché a faussé les rapports entre frères humains et attisé la concurrence entre nations. Et les deux meilleurs moyens de raccommoder leurs relations sont la justice et le pardon.



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La justice est première, mais elle ne suffit pas toujours. D’autant plus que certains psychismes sont plus fragiles que d’autres, plus susceptibles, ou bien traînent un passif traumatique plus lourd à porter et possèdent pour ces raisons moins de ressorts pour rétablir le contact avec ceux qui les ont offensés. Voilà pourquoi le pardon qui émanera de l’autre partie sera un premier pas vers la réconciliation. Dans beaucoup de cas, il ne faut attendre que les deux parties se mettent d’accord pour pardonner. Un chrétien doit piocher dans l’exemple du Christ sur la Croix et dans la force de l’Esprit le courage de faire le premier pas.

Le pardon, une affaire de vie et de mort

Certains hommes meurent de ne pas avoir donné ou reçu de pardon. Non pas de mort physique, mais de mort spirituelle, même si la seconde peut entraîner la première. Il me souvient des propos d’une aumônière du service cancérologique de l’institut Claudius-Regaud de l’hôpital La Grave à Toulouse. Elle m’avait confié que certains décès pour cause de cancer étaient dus à des pardons refusés ou non reçus. Les témoignages abondent en effet sur la puissance de libération et de guérison de la pratique du pardon. Le diable, qui œuvre à la pérennisation des conflits entre les hommes, l’exècre particulièrement. Aussi n’a-t-il de cesse de nous persuader que c’est faire preuve de faiblesse que de pardonner. Une de mes amies, chrétienne, m’a avoué un jour qu’il ne fallait pas la prendre pour une imbécile et que, pour cette raison, elle ne pardonnerait pas telle offense qui lui avait été infligée. Ce dernier exemple révèle qu’il s’agit bien d’un combat qui se joue également à l’intérieur de l’Église !

Le pardon est aussi une affaire politique

Enfin, à ceux qui doutent de l’utilité sociale et politique du pardon, rappelons que la réconciliation entre peuples européens, après la Seconde Guerre mondiale, a été initiée par des hommes politiques ouvertement chrétiens : De Gasperi, Robert Schuman, de Gaulle, Konrad Adenauer, pour les principaux. L’Allemagne a puisé dans sa culture et son esprit chrétiens la force pour reconnaître sa culpabilité dans le plus grand crime de l’histoire : la Shoah. La commission Vérité et Réconciliation (1996-1998), chargée de panser le passé de l’Afrique du Sud au sujet des crimes de l’apartheid, a été inspirée par deux personnalités chrétiennes hors pair : Nelson Mandela et Desmond Tutu. Les accords mettant fin au conflit nord-irlandais ont été signés un Vendredi Saint, comme un signe que le pardon jaillit prioritairement de la Croix. Enfin, n’oublions pas les témoignages bouleversants de pardons qui ont éclairé la nuit du génocide rwandais.

À l’heure du communautarisme et du repli sur soi, le pardon peut guérir beaucoup de cancers de notre société

Notre modernité tardive, dans le miroir qu’elle se tend à elle-même, reste aveuglée par l’image narcissique avantageuse qu’elle se renvoie à elle-même : lucide, moderne et affranchie des préjugés de jadis. Mais les mauvais esprits qui règnent sur les réseaux sociaux devraient lui ouvrir les yeux et lui apprendre que ce dont elle a le plus besoin en priorité, c’est d’une chose aussi ancienne que la Révélation biblique : le pardon. Ce n’est pas le moindre paradoxe de notre époque, qui pense avoir atteint le sommet de l’évolution, que de confirmer la pertinence de paroles vieilles de plusieurs millénaires. Oui, à l’heure du communautarisme et du repli sur soi, le pardon peut guérir beaucoup de cancers de notre société et démontrer de la sorte, bien au-delà de la sphère confessionnelle chrétienne, la pertinence et l’utilité des paroles du Christ sur ce sujet.



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