Palme d’or en 2002, le film de Roman Polanski “Le Pianiste” raconte l’histoire autant bouleversante qu’improbable de l’officier allemand qui a sauvé le pianiste juif Wladyslaw Szpilman en pleine guerre. Mais le destin de Wilm Hosenfeld, catholique, dont la foi en Dieu lui a donné la force de sauver des Juifs et Polonais, ne s’arrête pas là…S’il fallait retenir une seule scène emblématique du célèbre film “Le pianiste” de Roman Polanski, ce serait certainement celle où Adrian Brody, incarnant le rôle du pianiste gelé et à deux doigts de mourir, joue le Nocturne en do dièse mineur de Chopin devant un capitaine de la Werhmacht visiblement bouleversé.
Fidèlement reconstituée par Polanski, cette scène d’une rencontre improbable a bien eu lieu. La rencontre d’un artiste juif avec un officier allemand, au cœur de la deuxième guerre mondiale en Pologne occupée par les nazi : une rencontre qui sauvera la vie du pianiste.
Nous sommes en septembre 1939. Varsovie croule sous les bombes. Dévastée, la radio publique polonaise est réduite au silence au moment même où le Nocturne en ut dièse mineur de Chopin est diffusé sur les ondes. L’interprète s’appelle Wladyslaw Szpilman. Une fois la ville occupée, l’occupant allemand déplace tous les habitants juifs dans le ghetto de Varsovie où Szpilman, avec sa famille, attend la déportation vers les camps. Mais un policier, qui apprécie ses talents musicaux, le fait sortir des rangs et lui sauve la vie. À partir de ce moment, le pianiste va vivre caché pendant deux ans et demi. Il survivra à la liquidation du ghetto, à l’écrasement de l’Insurrection de Varsovie et à la destruction de la ville par les Allemands.
Un jour, alors qu’il sort affamé de son réduit, un homme en uniforme apparaît devant lui : Wilm Hosenfeld, un officier allemand. Ce face à face a lieu dans un appartement abandonné d’un immeuble occupé en partie par les bureaux de l’administration allemande, là où le pianiste s’abrite depuis août 1944. Ce jour-là, alors qu’il cherche du dentifrice dans le bâtiment, Hosenfeld surprend Szpilman à la recherche de quelque chose à manger.
L’officier lui demande ce qu’il fait ici. Le dialogue s’instaure entre les deux hommes, et Szpilman commence à expliquer en allemand ce qu’il faisait avant la guerre. Surpris de se retrouver en face d’un pianiste renommé, plutôt que de l’arrêter, Hosenfeld demande à l’artiste de jouer au piano qui se trouve dans l’appartement. Bouleversé par ces quelques accords de Chopin, mais surtout hanté par l’atrocité des crimes de son peuple, l’officier décide d’aider le pianiste. Il le prend sous sa protection, lui trouve une meilleure cachette, et va lui apporter fréquemment de la nourriture. Il lui donnera même son manteau d’uniforme pour le protéger des températures glaciales de l’hiver polonais.
Il ne faut pas oublier que Wilm Hosenfeld a sauvé non seulement mon père mais d’autres Juifs et Polonais, toujours avec la même détermination d’agir en accord avec lui-même, fidèle aux valeurs auxquelles il croyait » souligne Andrzej Szpilman, le fils du pianiste.
Pour Andrzej Szpilman, fils du pianiste, contacté par Aleteia, si Wilm Hosenfeld a sauvé son père d‘une mort certaine, ce n’est pas grâce à la musique de Chopin jouée lors de leur première rencontre. “C’était un homme qui aurait sauvé mon père comme d’autres dans n’importe quelle situation.
Hosenfeld était un grand homme d’un grand courage et d’une attitude intérieure impressionnante. Il ne faut pas oublier qu’il a sauvé non seulement mon père mais d’autres Juifs et Polonais, toujours avec la même détermination d’agir en accord avec lui-même, fidèle aux valeurs auxquelles il croyait » souligne-t-il. Né le 2 mai 1895, Wilhelm Adalbert Hosenfeld grandit dans une famille catholique très pieuse, son père est enseignant dans une école catholique. Grièvement blessé pendant la Première guerre mondiale, il reprend du service dès le début de la seconde. Mais la carrière militaire n’est pas sa vocation. Enseignant, il aime beaucoup son travail, il tient à l’éducation de chaque élève. C’est ce séduira Annemarie Krummacher, jeune fille protestante avec qui il se mariera en 1920 et avec qui il aura cinq enfants : Helmut, Anemone, Detlev, Jorinde i Uta.
Dès 1939, Wilm reprend du service et doit participer à la construction et à la garde d’un camp de prisonniers de guerre en Pologne. Il apprend le polonais et va à la messe chaque dimanche dans une église locale. Son approche envers les prisonniers étonne pour sa bienveillance et son humanité. Un jour, il n’hésitera pas à sauver un prêtre polonais, le père Adam Cieciora qui vient d’être fait prisonnier, au moment où celui-ci est conduit au peloton d’exécution… Muté à Varsovie, il fournit de faux documents aux Polonais comme aux Juifs, il sauve des vies en employant souvent des détenus dans l’école de sport de la Wehrmacht qu’il dirige.
“Nous ne méritons pas la miséricorde”
Témoin des atrocités perpétrées par ses compatriotes contre les Polonais et les Juifs, il exprime son dégoût pour le nazisme dans des lettres envoyées à sa femme et malgré le risque de la censure. En lui demandant d’être en communion de prière avec lui, Wilm lui parle de sa foi en Dieu, en qu’il trouve la seule force de tenir. Le 16 juin 1943, Hosenfeld note dans son journal les crimes commis par les Allemands lors de la liquidation du ghetto de Varsovie : «D’innombrables Juifs ont été tués comme ça, sans aucune raison, sans signification. C’est incompréhensible. Maintenant, les derniers survivants du ghetto sont en train d’être exterminés. Il conclut : «Nous ne méritons pas la miséricorde; nous sommes tous coupables. »
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Hosenfled exige de traiter les prisonniers conformément à la Convention de Genève, malgré l’ordre de Heinrich Himmler, le chef des SS, pour qui il faut les traiter comme «des bandits et des rebelles». Mais Hosenfeld n’hésite pas non plus à aider clandestinement les membres de la résistance polonaise dont il admire le courage. Et c’est en 1944 qu’il rencontre Szpilman, celui qui écrira plus tard de lui dans son livre autobiographique : « Wilhelm Hosenfeld était le seul humain en uniforme allemand que j’ai connu ». Captivé par les Soviétiques en 1945, il sera condamné à 25 ans de prison pour crimes de guerre, du simple fait d’être un officier allemand. Pendant des années, Szpilman ainsi que d’autres anciens prisonniers des allemands vont demander sa libération, requêtes systématiquement refusées par les soviétiques. Torturé, emprisonné dans des conditions terriblement dures, il meurt en 1953 à Stalingrad dans un camp d’internement.
Juste parmi les Nations
De son côté, Wladyslaw Szpilman retrouve son travail à la radio polonaise en 1945. Lorsque les émissions reprennent, c’est avec le même morceau de Chopin qu’il reprend ses interprétations musicales. En 1946, le pianiste publie en polonais le récit incroyable de sa survie en témoignant de l’héroïsme de Hosenfeld. Mais le livre est presque aussitôt proscrit par le régime communiste. Plus de cinquante ans passeront avant que le monde redécouvre son histoire à l’occasion d’une édition en langue anglaise dont Roman Polanski va acquérir les droits d’adaptation pour le cinéma. Mais pour le pianiste comme pour sa famille, une mission essentielle demeure : faire reconnaître à titre posthume l’héroïsme de l’officier allemand. Elle sera accomplie de nombreuses années plus tard. En 2007, le Président de la République polonaise lui décerne l’une des plus hautes distinctions de l’État. Deux années plus tard, le 16 février 2009, l’Institut isralien Yad Vashem l’inscrit “Juste parmi les Nations”.
“Aucun geste ne pourra jamais suffisamment rendre hommage et récompenser l’héroïsme de Wilhelm Hosenfeld. La moindre chose était donc d’honorer le courage et l’humanité de cet homme qui a décidé d’être fidèle à ses valeurs humaines et spirituelles”, affirme toujours encore ému Andrzej Szpilman, le fils du pianiste qui n’a jamais abandonné l’idée de se battre, comme son père décédé en 2000, pour rendre hommage à Wilm Hosenfeld. Certainement l’interprétation du même nocturne de Chopin par Wieslaw Szpilman en est aussi un magnifique hommage. Ecoutez :
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