Les régions du nord du pays se sont soulevées contre le gouvernement d’Addis-Abeba pour tenter de reprendre le contrôle d’un pouvoir qui leur échappe. Si la rébellion est pour l’instant mise en échec, la guerre qui reprend en Éthiopie souligne les fragilités de ce pays et les difficultés de bâtir une paix à long terme. Le problème de l’Éthiopie est à la fois spécifique au pays et général au continent africain. S’y déroulent des affrontements ethniques pour le contrôle du pays, une corruption massive et des rancœurs historiques anciennes. Cela rend difficiles à la fois la compréhension des événements et leur règlement de façon pacifique.
Un christianisme antique ancien et ancré
Grand comme la France et l’Espagne réunies, peuplée de 110 millions d’habitants, l’Éthiopie est située sur le bassin du Nil, l’espace de la mer Rouge et la zone de l’Afrique australe. Elle fut christianisée à partir de 350 avec la conversion de son roi Ezana. L’évangélisateur du pays fut saint Frumentius, un Syrien, connu dans le pays sous le nom d’Abba Salama (le père de la paix). Voyageant de Syrie en mer rouge, il fréquenta la cour d’Axoum et se lia d’amitié avec Ezana, alors fils du roi, qui devint roi lui-même. Frumentius fut sacré évêque d’Axoum par Athanase d’Alexandrie. L’église d’Éthiopie et celle d’Égypte rejetèrent le concile de Chalcédoine (451) qui condamnait le monophysisme (le Christ a seulement une nature divine). Aujourd’hui encore, l’église d’Éthiopie est monophysite. Dès son origine, l’Éthiopie s’est placée dans le giron égyptien et donc dans l’axe nilotique.
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Le royaume d’Axoum était présent sur les deux rives de la mer Rouge, faisant du commerce avec la région du Nil, le monde méditerranéen et le monde de l’océan Indien. Mais il dut affronter les attaques des Perses puis des Arabes. Il perdit la rive arabique de la mer Rouge, ce qui replia le royaume en Afrique. Puis les Arabes attaquèrent les plaines, les populations chrétiennes se réfugiant alors sur les hauts plateaux éthiopiens, où le christianisme put continuer à se développer.
La reine de Saba
La région du Tigré est conquise en 1270 par Yekuno Amlak qui créa la dynastie des Salomonides, car il prétendait descendre de la reine de Saba et du roi Salomon. La dynastie se maintint au pouvoir bon an mal an jusqu’en 1974 et la déposition du négus Hailé Sélassié. Des groupes marxistes prirent le pouvoir, qui furent chassés en 1991 par les Tigréens. Puis ce fut la guerre civile menée par le Front populaire de libération du Tigré (FPLT). Les Tigréens se maintinrent au pouvoir jusqu’en 2012, date de la mort de leur chef. À partir de cette année-là, le pouvoir leur fut contesté par les Oromo et les Amhara. La situation empira, allant de massacres en massacres, jusqu’au moment où les Tigréens décidèrent de faire sécession et donc de s’oppose frontalement aux Oromo et aux Amhara.
Des rivalités ethniques non résolues
La population éthiopienne compte 40% d’Oromo contre 5% de Tigréens. Si les Tigréens sont donc en très large minorité démographique, ils contrôlèrent le pays jusqu’en 2012 et refusent aujourd’hui de se faire déposséder du pouvoir. Leur région est celle du nord, à cheval sur l’Érythrée, peuplée majoritairement de Tigréens et qui a fait sécession de l’Éthiopie. Le risque pour les Oromo est donc une sécession du Tigré et un rattachement à l’Érythrée, qui possède un accès à la mer.
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Le pays a un problème spécifique d’organisation. Un fédéralisme ethnique fut mis en place en 1994 afin de donner une reconnaissance officielle aux différents groupes, de leur permettre d’avoir des représentants au Parlement et donc de tenter une conciliation possible entre les différentes ethnies. Mais loin de créer une unité nationale, ce fédéralisme ethnique renforce les particularismes, chacun votant pour le candidat de son ethnie. Les minoritaires sont donc renforcés dans leur minorité, ce qui accroit davantage les tensions au sein du pays.
Une guerre rapide, mais sans fin
Sous prétexte de Covid, le gouvernement a reporté les élections prévues à l’automne. Les Tigréens ont perçu cela comme une tentative des Oromo de les exclure du pouvoir, d’où leur révolte au mois de novembre. Une révolte matée par le gouvernement en place qui a réussi à reprendre la capitale régionale et à arrêter plusieurs chefs rebelles. Mais cela a aussi provoqué des mouvements de population, et notamment des départs vers le Soudan, exportant la crise vers les pays voisins. Les réfugiés sont toujours un point épineux pour les pays qui les reçoivent et une source de potentielle déstabilisation. D’un conflit national, on passe donc à un potentiel conflit régional. Au Tigré s’ajoutent les problèmes de l’Érythrée et de l’accès à l’eau du bassin du Nil, ce qui ne cesse d’envenimer les rapports avec l’Égypte. Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, espère pouvoir rétablir la stabilité de son pays après l’attaque contre le Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF) qui lui a pour l’instant permis de reprendre le contrôle de la situation. Mais est-ce un épuisement temporaire des forces ou une paix durable ? Les forces du Tigré ont quitté la capitale régionale pour se réfugier dans les montagnes et lancer des opérations de guérilla à partir de ces territoires difficilement contrôlables. À une guerre ouverte succède donc une guerre de tranchées qui n’est jamais simple à régler.
La capitale du textile
S’ajoute un problème économique. L’Éthiopie est en train de devenir la capitale mondiale du textile, remplaçant pour certains vêtements l’Asie du sud-est. De plus en plus de Turcs et de Chinois investissent dans le pays, notamment autour d’Addis-Abeba, afin de construire des usines performantes et modernes pour produire les vêtements vendus sur les marchés européens et américains. Le coton peut être produit et transformé sur place, ce qui limite les contraintes de transport, et être ensuite tissé et filé pour finir en bobines qui sont utilisées dans les usines. Après le Bangladesh et la Turquie, l’Éthiopie est donc le nouveau centre névralgique du monde du textile. Une situation qui apporte un espoir de développement pour le pays, mais qui est fragilisée par la guerre. Si le pays venait à s’embraser une nouvelle fois il n’est pas certain que les investisseurs continueraient d’y travailler. Entre le coton et les armes, le pays devra choisir.
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