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Alice Ferney : “J’ai découvert avec sidération un marché des ventres”

Alice Ferney

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Raphaëlle Coquebert - publié le 11/12/20
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Alors qu’en raison de la fermeture des frontières pour raison sanitaire, des centaines d’enfants issus de GPA ont été placés dans des orphelinats, la romancière Alice Ferney plaide dans “L’Intimité” pour un réveil des consciences face aux dérives d’une science ivre de ses prouesses. Entretien.Aleteia : Votre dernier ouvrage interroge, entre autres, la pratique de la GPA, à travers la quête d’Alba, Française en mal d’enfant décidant de recourir aux services d’une mère porteuse étrangère. Pourquoi vous être intéressée à ce sujet ?
Alice Ferney : Au moment du projet de loi sur le mariage pour tous, l’écrivain Eliette Abécassis m’a sollicitée pour signer, aux côtés d’une cinquantaine d’intellectuelles, une lettre à François Hollande demandant que ce ne soit pas une étape vers la légalisation de la gestation pour autrui : nous invoquions l’intérêt supérieur de l’enfant. A cette occasion, j’ai découvert avec sidération qu’il existait un « marché des ventres » en pleine croissance.

Vous avez alors décidé d’en faire un roman ?
Pas immédiatement. Les initiatrices de cette lettre ont fondé dans la foulée le Collectif pour le Respect de la Personne (CoRP), qui milite en faveur d’une abolition universelle de la maternité de substitution. Je n’ai pas du tout une âme de militante, être membre d’un collectif était pour moi une grande première : j’en suis devenue la trésorière. Entourée de personnalités aux compétences à la fois diverses et spécialisées (historiennes, juristes, sociologues, philosophes, médecins…), je me suis nourrie et enrichie de nos échanges. Je me suis posée peu à peu la question de savoir si le roman pouvait restituer cette nouvelle réalité de la procréation et les dilemmes qu’elle pose à la société.

Une fiction qui met en lumière le caractère obsessionnel que peut prendre le désir d’enfant.
Il est normal que la difficulté à avoir un enfant en accroisse le désir. Notre génération découvre que le pouvoir octroyé par la contraception de ne pas concevoir un enfant s’il n’est pas désiré est tout à fait différent de celui d’être enceinte dès qu’on le souhaite. La fameuse formule « un enfant quand je veux » s’avère tout à coup contredite. Les problèmes environnementaux, l’allongement de la durée des études, la difficile conciliation des investissements professionnel et maternel… tout concourt à retarder l’âge de la première maternité alors que la fertilité féminine est la plus forte entre 20 et 30 ans. Nous éludons ces questions majeures et, plutôt que de traiter les causes de l’infertilité, nous développons les techniques de procréation artificielles. Mieux vaudrait une réflexion plus globale.


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D’autant que le motif d’infertilité n’est plus seul invoqué pour recourir à la PMA ou à la GPA. C’est le projet parental ou individuel qui devient la norme.
Le concept de « stérilité sociale » a fait son apparition et donne à penser. Il m’a menée à créer ce personnage d’Alba, femme asexuelle, qui est a priori féconde mais se refuse à porter un enfant, tout en en désirant un. Internet devient l’outil majeur pour réaliser son désir. J’ai tenu à mettre en lumière le rôle joué par les nouvelles technologies, leur immense impact. Mon livre n’est pas centré uniquement sur la gestation pour autrui : il parle des révolutions qui touchent aujourd’hui la famille, le couple, le lien amoureux, le désir d’enfant… Pour tenter, sans jugement, de comprendre ce qui se joue là, et pourquoi on en arrive à des solutions aussi extrêmes que de louer un ventre.

Comment en effet une société qui se gargarise tant des « droits de l’homme » peut-elle admettre pareille marchandisation des corps ?
C’est une conjonction de facteurs : l’accroissement des droits individuels et des progrès techniques sert les intérêts du marché mondial. Car la GPA est un marché de plusieurs milliards de dollars considéré comme très prometteur. Nos sociétés modernes ont inventé une nouvelle façon d’exploiter la pauvreté. Les agences mettent en relation la vulnérabilité des uns et la puissance des autres.

C’est la démonstration que fait une autre de vos protagonistes de l’Intimité, Sandra, libraire féministe. Vous teniez à ce que la dénonciation de la GPA passe par une militante de la cause des femmes ?
Je ne comprends pas qu’on se dise féministe et favorable à la GPA. Et je trouve malvenu d’invoquer Simone Weil ou Gisèle Halimi pour défendre une « liberté » de s’aliéner. Comment ne pas admettre que cette pratique est une nouvelle instrumentalisation des femmes et une mise en danger de leur vie ? Il ne faut jamais oublier le corps, les douleurs qui l’affectent. Les transhumanistes voudraient s’en émanciper : ils rêvent d’un corps immortel. La crise sanitaire est un démenti à ces chimères prométhéennes : elle nous rappelle que nous sommes fragiles et vulnérables.


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Actes Sud

L’Intimité, Alice Ferney, Ed. Actes Sud, 368 pages, 2020, 22 euros.

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