C’est un Dieu caché qui se donne à voir dans la crèche. Mais pour le voir, il faut suivre la voie qu’il a choisie, qui est celle de l’humilité et de la pauvreté.« Vraiment tu es un Dieu qui te caches, Dieu d’Israël sauveur » (Is 45, 15). Cette méditation sur le Dieu caché — Deus absconditus — souvent reprise par Pascal, traverse la théologie chrétienne. Elle pointe l’idée d’un Dieu inconnaissable par la seule raison humaine et dont la transcendance nous échappe mais qui se laisse apercevoir. « Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi » (Pascal, Lettres à Charlotte de Roannez, 1656). Alors que nous méditons ces jours-ci le mystère de l’Incarnation dans la contemplation de la crèche, l’idée de ce Dieu caché dans un nourrisson, Dieu caché dans la lettre de l’Écriture, Dieu caché dans le mystère de l’Eucharistie occupe nos cœurs et nos esprits. Il semblerait même que plus Dieu s’approche de nous dans l’incarnation plus il se cache à nous : il accentue la distorsion entre celui que nous pensons être Dieu et celui qui se donne à voir en Jésus Christ.
Le chemin qu’il a choisi
Le sommet de cette distorsion est atteint sur le bois de la croix, scandale pour les juifs, folie pour les païens : plus Dieu se fait proche, plus il nous semble lointain, plus il se donne à voir, moins il est reconnaissable. Dans le mystère de l’Eucharistie, le clair-obscur de la Présence nous rejoint dans la quotidienneté de nos vies. Dieu est au milieu de nous, au cœur de nos églises, réellement présent et totalement caché. Ce statut de l’Eucharistie pour les catholiques rend notre prière spécifique par rapport à d’autres religions. Notre prière n’est pas que la démarche d’un croyant qui s’approche de son Dieu mais la démarche d’un Dieu qui se donne réellement aux croyants qui le cherchent et le devinent.
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Cette réalité d’un Dieu caché au milieu des hommes nous invite à méditer sur l’invisible de la grâce. Une humilité et une attention quotidiennes sont nécessaires puisqu’il se cache à nous et, pour le connaître en vérité, l’on ne peut emprunter que le chemin que lui-même a choisi. La porte qui conduit au Père, Jésus (Jn 10, 9), ne peut elle-même être franchie que de la façon dont Jésus a vécu : il fallait que cette porte étroite ne fût connue qu’aux simples et aux humbles. Pascal ne fait pas de cette distance entre Dieu et les hommes un obstacle à la foi mais montre que c’est dans cette distance même que réside le chemin de la foi. De même qu’un maître temporel des arts ou des sciences demandera à son élève d’emprunter un chemin particulier de connaissance et d’expérience pour arriver à la maîtrise de sa matière, de même le Dieu des chrétiens donne à ses disciples le chemin pour le connaître et ce chemin est double. D’une part il n’y a qu’en Jésus-Christ que l’on peut connaître qui est le Dieu vivant et vrai et d’autre part, pour connaître Jésus-Christ, il n’y a que le chemin de l’humilité et de la prière.
La voie du pauvre
Dans L’Imposture de Bernanos, l’abbé Cénabre est ce chrétien qui ne croit plus, englué dans l’orgueil et la fatuité d’un petit monde bourgeois qui se complaît dans sa bassesse morale, hypocrite et mondaine. L’abbé Chevance, le « confesseur des bonnes », figure du saint caché, humble et pauvre, ne sait que proposer le sacrement de pénitence à son illustre confrère couvert de titres et de notoriété mais rempli de vide et de désespoir, au bord du suicide. Il ne peut lui proposer que Jésus-Christ, pauvre et humble, et, pour Le rejoindre, un chemin de pauvreté et d’humilité. L’abbé Cénabre le rejettera ainsi que Jésus-Christ dans la figure du pauvre avec lequel il jouera une soirée entière entre mépris et curiosité, ce pauvre lui révélant pourtant qui il est vraiment.
Le Dieu caché ne l’est que pour ceux qui ne veulent pas prendre ce chemin ou auxquels l’on n’a pas enseigné ce chemin
Les méditations devant la crèche en ce temps de l’Avent montrent ce chemin d’humilité et de pauvreté qui permet d’accéder au Christ et — par lui, avec lui et en lui — d’accéder au Père. L’annonce de Jésus Christ dans notre monde n’est pas un jeu intellectuel d’arguments et de réfutations, entre savants et philosophes. « Frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié » (1 Co 2, 2). Le Dieu caché ne l’est que pour ceux qui ne veulent pas prendre ce chemin ou auxquels l’on n’a pas enseigné ce chemin. Notre témoignage ne peut être reçu et conduire à la foi que s’il est conforme à ce chemin.
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