De mortuis nihil nisi bonum, selon cette antique maxime, des morts il conviendrait de ne rien dire, si ce n’est du bien. Le décès du président Valéry Giscard d’Estaing met à rude épreuve, pour un catholique de ma génération, cette sagesse grecque. Comment ne rien dire d’un président qui s’est battu pour faire voter une des pires lois du siècle passé, la fameuse loi dite « Veil », légalisant l’avortement ? Les quelques images de ses obsèques religieuses, cercueil entouré de deux évêques et de plusieurs prêtres, ont quelque chose de choquant pour le simple fidèle, d’incohérent pour tous. Nonobstant la possible conversion de l’ancien président avant sa mort (« Notez bien que je suis catholique pratiquant », avait confié Valéry Giscard d’Estaing à la journaliste du Figaro Anne Fulda qui l’avait interviewé un mois avant sa mort dans La Croix), comment concilier ces images avec celle — bruyamment commentée dans les grands médias — du « président de l’avortement légalisé » ?
Une courtoisie sans effet
Rappelons-nous ce que fut le combat des catholiques, pour tenter de faire entendre raison à une société française en pleine révolution sociale après Mai 68, devant le drame qui s’annonçait, derrière les propos lénifiants et faussement humanistes des promoteurs de la dépénalisation de l’avortement. Dans un entretien au journal La Croix, Mgr Gérard Defois, à l’époque secrétaire général de la CEF se souvient : « L’épiscopat avait eu des contacts avec Simone Veil : nous l’avions rencontrée avec le cardinal Alexandre Renard (archevêque Lyon de 1967 à 1981) et Mgr Gilbert Duchêne (évêque de Saint-Claude de 1975 à 1994) qui présidait alors la Commission pour la famille. Nos échanges furent très courtois mais sans effet, la décision étant déjà prise. » Situation qui rappelle étrangement, douloureusement, celles plus récentes autour du « mariage pour tous », du « remboursement de l’IVG », de la « PMA », etc. Beaucoup de catholiques ont eu le sentiment que leur épiscopat les laissa ensuite, seuls, en rase campagne à se battre contre la loi scélérate de 1975, même si l’accueil de VGE au Vatican par saint Paul VI fut, de tous les avis, plus que froid.
Le pontificat de saint Jean-Paul II redonna quelques forces au combat des catholiques français contre l’avortement. Il apporta en particulier un approfondissement de la doctrine morale de l’Église, avec des textes d’une force et d’une actualité encore frappantes : Evangelium vitae, Veritatis splendor, et tant d’autres interventions publiques percutantes. Benoît XVI, avec ses fameux points non-négociables, a lui aussi apporté de l’eau au moulin des catholiques désireux de combattre ce fléau qu’est l’avortement. Pour autant, il semble bien que, malgré des fondements doctrinaux clairs désormais pour le catholicisme français, l’avortement légalisé avec plus de deux cent mille enfants à naître assassinés chaque année, soit devenu une « composante » sociétale difficile à remettre en cause publiquement, au risque de se faire ostraciser par le monde médiatique.
Impossible distanciation
Quelques associations officiellement catholiques ou neutres (mais largement soutenues par des catholiques) tentent bien de continuer la lutte, tout spécialement en s’intéressant — à juste titre — aux femmes, secondes victimes après l’enfant à naître, de cet holocauste moderne. Faut-il malheureusement reconnaître que ces associations ou mouvements reçoivent peu ou pas de soutien du clergé, comme si cela était en quelque sorte « gênant » socialement de se montrer rétif et rebelle au consensus social sur le sujet ? Certes le Saint-Père François, a précisé au début de son pontificat que s’il s’exprimait moins sur ce sujet (ce qu’il a fait quand même depuis d’ailleurs) la raison en était qu’il lui semblait que la position catholique était suffisamment connue de tous. Pour autant, dans un pays comme la France, le catholicisme peut-il publiquement rester dans la distanciation, face aux drames atroces vécus par tant et tant de femmes jeunes, face à l’avortement, face à la réalité d’un crime qui « crie vengeance aux yeux de Dieu », face à un million d’enfants, tous les cinq ans, disparus, car broyés dans la machine infernale d’une véritable structure de péché ?
Mère Teresa avait fait de la lutte contre l’avortement le point central pour que nos sociétés modernes retrouvent leur humanité. L’oublier, c’est, par avance, malgré peut-être quelques batailles remportées ici ou là — on cherche bien… — être certains de perdre la guerre. Si nous ne sommes plus capables d’éprouver un véritable tourment intérieur face à cette abomination, face à tous ces drames, alors nous ne sommes sans doute pas dignes du Maître : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).