La loi de l’habitude est terrible pour endormir les consciences. Voici quatre étapes pour armer son intelligence contre l’anesthésie de la volonté.Connaissez-vous la métaphore de la grenouille ? C’est celle du gars bien décidé à s’offrir un plat de grenouilles pour son déjeuner. Attraper des grenouilles et les garder dans un seau ne lui fut pas trop difficile, mais quand il fallut plonger ses grenouilles dans une casserole fumante, ce fut une autre histoire ! Les malheureuses fuyaient de tout côté, bien décidées à ne pas se laisser ébouillanter sans rien faire… Changement de tactique : notre petit malin laissa tranquillement ses petites bêtes dans l’eau de leur mare, et se contenta de transvaser le tout dans sa casserole. Vous imaginez la suite. Il alluma le feu au plus doux, et attendit. Le changement insensible de température échappa aux grenouilles, progressivement engourdies par la tiédeur, assommées par la chaleur, et décimées sans mot dire par les premiers bouillons… Elles furent mangées jusqu’à la dernière.
Les âmes habituées
Voilà où nous en sommes. Voilà exactement comment fonctionne notre conscience morale. Nous avons une tendance profonde à l’adaptation. Jusqu’au jour où ce qui aurait dû nous faire fuir, réagir, susciter l’indignation, et le passage à l’action ne rencontre plus que de l’indifférence. Les exemples sont nombreux aussi bien d’un point de vue individuel que collectif, aussi bien d’un point de vue moral que politique : c’est ainsi qu’on accepte qu’un climat de violence s’installe insidieusement dans un couple jusqu’à ce qu’il se résigne à trouver cela « normal », mais c’est de la même manière que l’on enregistre année après année les modifications législatives qui restreignent le droit à la vie, qui redéfinissent le mariage, ou déconstruisent les filiations, sans que plus rien ne viennent faire réagir les « âmes habituées », comme aurait dit Péguy. Qui ne nous dit pas que dans quelques générations nos descendants ne liront pas leurs livres d’histoire avec incrédulité : mais comment ont-ils pu laisser faire cela ? n’y a-t-il eu dans leur casserole aucune grenouille capable dire « Ohé ! les filles, vous sentez comme ça chauffe ? ».
Comment éviter l’engourdissement de la conscience morale ? Comment éviter que se brouillent en nous les frontières entre le bien et le mal, l’acceptable et l’inacceptable ?
Quatre étapes pour armer sa vigilance
Alors comment éviter l’engourdissement de la conscience morale ? Comment éviter que se brouillent en nous les frontières entre le bien et le mal, l’acceptable et l’inacceptable ? Comment fortifier nos engagements ? En sachant d’une part que le simple fait d’« avoir des principes » (ce qu’on ne saurait pourtant décommander !) ne nourrit pas la conscience. Comment aiguisons-nous la perception de ce qui est bien ou mal, au sein de nos décisions ? cette connaissance se construit en quatre étapes.
Premièrement de manière instinctive, en revenant à la source même de nos actions : c’est « l’étincelle de l’âme » dont parle saint Jérôme, qui éclaire et accompagne nos décisions, qui est présente et active en chaque homme quel que soit son degré de culture, et qui intuitivement nous rend capable de saisir le bien. Deuxièmement, en nous rendant capable de retour sur nous-même, ce regard lucide que nous portons sur soi au moment où nous agissons. Troisièmement : en engageant une réflexion volontaire sur nos décisions, et sur nos actions. C’est le moment où nous posons des questions, et où nous pouvons répondre à celles qui nous sont posées : pourquoi, comment, quelles conséquences. Et enfin, une dernière forme de connaissance éclaire notre route et nous permet rétroactivement d’insuffler du dynamisme à nos choix de vie : c’est le travail de l’intelligence, la formation morale, l’enseignement que prodigue la théologie morale.
Ainsi dès lors que nous fortifions en nous ces quatre mouvements : confiance dans l’intuition, présence à soi-même, temps de la réflexion, effort de formation, nous sommes armés contre l’anesthésie. Transmettons ces armes à nos jeunes, qu’ils ne vivent pas d’eau tiède.
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