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Entrons-nous dans l’Avent comme celui-qui-attend ?

couronne de l'avent
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Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 28/11/20 - mis à jour le 25/11/22
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Sans repos mais confiant, le chrétien entre dans le temps de l’Avent dans l’attente de la naissance du Sauveur. Mais l’attendons-nous vraiment, Celui qui nous attend ?

Dans ses Fragments d’un discours amoureux (1977), Roland Barthes écrit : "L’identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : je suis celui qui attend." Voilà une définition qui s’applique parfaitement au chrétien, en particulier pour ce temps de l’Avent qui commence aujourd’hui pour nous mener jusqu’à Noël. L’identité du chrétien, qui est un amoureux de Jésus-Christ, n’est rien d’autre que : "Je suis celui qui attend." Face à Dieu qui s’est révélé au buisson ardent comme "Je suis Celui qui suis" (Ex 3, 14), le chrétien se découvre "Je suis celui qui attend".

Attendre dans la confiance

Mais là où l’amoureux de Barthes expérimente son attente de l’être aimé comme un "tumulte d’angoisse", Jésus nous invite à la confiance. Pourtant, de Luther à Kierkegaard, une petite musique se fait entendre selon laquelle l’angoisse serait non seulement le climat normal de la vie chrétienne mais le critère de son authenticité. Spontanément, il nous semble souvent qu’un chrétien qui ne serait pas angoissé ni inquiet ou assailli de doutes serait coupable de pharisaïsme satisfait, de christianisme en pantoufles.

S’il s’agit de dire avec saint Augustin que notre cœur est sans repos — littéralement in-quies — tant qu’il ne demeure en Dieu, très bien ! Mais la vie de foi, même toute tournée vers l’attente du Sauveur, est plus paisible que véritablement angoissée. Notre attente ne prend pas la figure de l’angoisse, parce que nous possédons déjà les gages de ce que nous espérons. Ainsi Paul rappelle aux Corinthiens qu’ils ont d’ores et déjà "reçu toutes les richesses, toutes celle de la parole et de la connaissance de Dieu" et qu’"aucun don de la grâce ne nous manque, à nous qui attendons de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ" (1 Co 1, 5-7).

Cruellement absent et profondément présent

Et pourtant, serions-nous vraiment des amoureux de Jésus-Christ si notre attente était trop paisible ? Comme le note encore Roland Barthes, "l’absence bien supportée n’est rien d’autre que l’oubli". Voilà qui serait un constat affreux : l’oubli de Dieu ! Je supporte bien l’absence apparente de Dieu parce qu’au fond je ne l’aime pas vraiment…

Mais c’est précisément cela qui donne sa coloration spécifiquement chrétienne à notre attente : l’être aimé, Jésus, est à la fois cruellement absent et profondément présent. Jésus est absent parce que notre vie de prière et notre fréquentation des sacrements se déroule le plus souvent dans un désert de la sensibilité, dans une austérité terrible. Mais Jésus est présent de manière très réelle dans le sacrement de l’Eucharistie, et de multiples manières dans les autres sacrements et dans toute notre vie.

C’est précisément cela qui donne sa coloration spécifiquement chrétienne à notre attente : l’être aimé, Jésus, est à la fois cruellement absent et profondément présent.

Ce clair-obscur de la présence de Jésus explique que notre attente, pour douloureuse qu’elle puisse être parfois, n’en demeure pas moins paisible. Il faut ici distinguer soigneusement les atermoiements de notre psychologie, les remous à la surface de notre âme, et ce qui se passe au fond de notre âme, en sa profondeur. Les tempêtes, très réelles, peuvent agiter la surface, mais le fond demeure dans la paix parce que c’est là que Jésus a choisi d’habiter. Encore faut-il savoir comment l’y rejoindre, et pour cela enfiler le scaphandre de combat de la foi, et se munir des réservoirs d’oxygène de l’Esprit-Saint pour atteindre à cette profondeur.

L’attente est un désir

Durant ce temps de l’Avent, il s’agit en principe d’attendre l’avènement de Jésus-Christ en sa chair. "L’attente crée le désir", peut-on lire dans Biba ou Marie-Claire, organes trop méconnus d’expression de la vie théologale. Mais là encore, c’est paradoxal. L’avènement du Christ en sa chair ? C’est déjà fait depuis 2.000 ans, la liturgie nous aide seulement à en faire mémoire. L’avènement du Christ en nos cœurs ? On peut espérer qu’il a déjà lieu, au moins par intermittence — notre cœur est un intermittent du tabernacle, si on veut bien pardonner ce douteux calembour —. Que reste-t-il alors à attendre ? Mais l’avènement du Christ en gloire à la fin des temps, pardi !

Ce retour glorieux du Christ, cette Parousie pour la venue de laquelle nous prions à chaque messe (« Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ») et sur laquelle toute la Bible se clôt avec ce dernier verset de l’Apocalypse : "Maranhata, viens, Seigneur Jésus !" (Ap 22, 20), c’est l’objet véritable de notre attente. En tout cas, ça devrait l’être, et un bon examen de conscience consiste précisément à savoir si nous l’attendons et le désirons vraiment… Ou pour le dire avec les mots de Newman : "Année après année, le temps s’écoule silencieusement ; la venue du Christ se rapproche à chaque instant. Si seulement, comme il se rapproche de la terre, nous pouvions nous rapprocher du Ciel !"

Se rapprocher du Ciel

Se rapprocher du ciel tandis que le Christ se rapproche de la terre, voilà un programme pour notre Avent ! C’est ainsi que l’avertissement de Jésus prend tout son sens :

"Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment." (Mc 13, 33)

C’est d’une veille active qu’il s’agit, dans la prière, le jeûne et les œuvres de miséricorde. Sans quoi l’assoupissement, à la longue, risque de nous prendre. Mais même ainsi, la venue du Christ demeurera toujours une surprise à laquelle nous ne serons jamais suffisamment préparés.

C’est le sens de la remarque désabusée de la prieure du Dialogue des Carmélites de Bernanos, lorsque vient l’heure du martyr : "Hélas, j’ai plus de trente ans de profession, douze ans de supériorat, j’ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, et cela ne me sert maintenant de rien." Oui, Jésus nous demande de veiller, de nous préparer, mais ultimement rien ne peut nous garantir que nous saurons affronter en saints et sans angoisse l’heure de notre rencontre ultime avec le Christ. C’est d’ailleurs étonnant de voir à quel point lorsqu’un vieux religieux meurt, son agonie peut être ou bien très paisible ou bien très angoissée sans qu’on puisse vraiment corréler la différence d’attitude à la sainteté de la vie de ce frère. Le serviteur inutile veille, et c’est là sa noblesse, c’est tout ce qui importe ! Le reste est entre les mains miséricordieuses du Seigneur.

Dieu nous attend

L’Avent nous invite à veiller, à attendre avec la Vierge Marie enceinte l’avènement du Sauveur. Auprès des crèches que nous aurons installées dans nos familles, dans nos communautés religieuses, veillons dans le silence. Marquons la progression de notre désir du Sauveur en déplaçant tel santon, en avançant les mages ou les bergers.

Allumons semaine après semaine une bougie supplémentaire sur notre couronne de l’Avent pour éclairer la nuit de notre vie chrétienne. L’avènement de Jésus est tout proche. Et n’oublions jamais que l’"attente de Dieu" chère à la philosophe juive Simone Weil au seuil du christianisme est à double sens : "attente de Dieu" parce que nous attendons Dieu, mais aussi "attente de Dieu" parce que Dieu nous attend : en tout lieu Jésus nous précède. "Cieux répandez votre justice, que des nuées vienne le salut !" (Hymne Rorate Caeli pour le temps de l’Avent).

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