L’archevêché de Paris ouvre la réflexion « sans rien s’interdire » sur le nouvel aménagement de la cathédrale, et la polémique monte dans les tours… Il s’agit seulement de permettre à Notre-Dame d’accomplir ce pour quoi elle a été érigée, dans sa simplicité d’origine : un écrin pour le Corps du Christ et pour l’accueil évangélique des visiteurs.Au cours des derniers jours, nous avons eu droit à une polémique bien française sur la restauration intérieure de Notre-Dame. Le Figaro, La Croix, Le Parisien, Connaissance des Arts et d’autres se sont fait l’écho de la réflexion lancée par Mgr Aupetit à la suite de l’incendie du 15 avril 2019. Avant de laisser libre cours à des craintes, des fantasmes ou des postures, il convient d’avoir à l’esprit la situation juridique de la cathédrale, sa fonction et son organisation interne pour ne pas raconter n’importe quoi et laisser les responsables assumer leur responsabilité.
L’Église est seulement affectataire
La cathédrale Notre-Dame de Paris, parce qu’elle est une cathédrale construite avant 1905, appartient à l’État. Les églises qui ne sont pas cathédrales et qui ont été construites avant 1905 appartiennent aux communes. Les églises et cathédrales construites après 1905 appartiennent aux associations diocésaines de chaque diocèse français (à part pour l’Alsace Moselle, qui a un statut à part). La restauration de Notre-Dame de Paris dépend donc entièrement de l’État, de la Direction régionale des affaires culturelles, du Centre des monuments nationaux et de l’établissement public dirigé par le général Georgelin que le président de la République a nommé à ce poste. Un représentant de l’évêché est présent dans cet établissement public car la cathédrale est affectée au culte chrétien catholique sous la responsabilité de l’archevêque de Paris. La fonction de Notre-Dame est d’abord l’office cultuel catholique qui est laissé à l’Église dans son organisation quotidienne. L’Église est affectataire et devra donc organiser ce qu’il se passe à l’intérieur de la cathédrale quand celle-ci sera rouverte.
Il s’agit bien de permettre à Notre-Dame de Paris d’accomplir ce pour quoi elle a été érigée : un écrin pour le Corps du Christ
Le diocèse de Paris n’est donc pas un gardien de musée chargé d’organiser la visite paisible des douze millions de visiteurs annuels que nous avions avant l’incendie. L’Église a la charge de la vie interne de Notre-Dame dans toutes ses composantes liturgiques, musicales, patrimoniales, spirituelles et artistiques : le sommet et la source de toutes ces activités étant la célébration eucharistique, présidée par l’évêque de Paris sur sa cathèdre et réunissant le peuple chrétien de notre capitale.
Files d’attente et tabernacle
Pour envisager l’avenir, rappelons-nous simplement ce qu’il se passait avant l’incendie : des millions de personnes qui faisaient la queue sur le parvis, sous la pluie ou en plein soleil, sans contrôle de sécurité, sans toilettes et sans bagagerie. Des touristes qui entraient par le portail sud et sortaient par le portail nord alors que l’Incarnation est au nord et la Résurrection au sud, donc lors d’un chemin inversé par rapport à la catéchèse du jubé. Des chapelles latérales sombres et inutilisées dans lesquelles — sans ordre ni cohérence — s’entassaient des couches de dévotions et de cadeaux historiques. Une autre file d’attente, le long de la cathédrale rue du Cloître Notre-Dame, pour visiter les tours, lesquelles sont gérées par le Centre des monuments nationaux et non par le diocèse et dont la sortie se faisait à côté de l’entrée des touristes, au sud. Les fidèles qui voulaient participer aux offices en semaine dans Notre-Dame devaient se frayer un chemin à travers les touristes pour accéder au chœur de Notre-Dame et là se trouvaient trois autels : celui de la Pietà — sous la croix qui continuait à nous éclairer la nuit de l’incendie — celui au centre du chœur pour les messes de semaine et celui au bout de la nef pour les grandes célébrations. Nous avions un tabernacle que l’on ne voyait pas, sur le côté au fond du chœur, après qu’il eut été dans la chapelle axiale mais remplacé ensuite par le reliquaire de la couronne d’épines, que l’on ne voyait pas non plus. La Vierge du pilier qui faisait nombre avec la Vierge à l’entrée nord, sans savoir qu’elle était LA Notre-Dame de Paris de Paul Claudel et de tant d’autres parmi toutes ces statues.
Retrouver la volonté des bâtisseurs
Il faut se rappeler que le maître-mot lors de la construction de Notre-Dame de Paris en 1163 était la simplicité. Nous étions fort loin de cette simplicité avant l’incendie, tant dans l’aménagement que dans la cohérence de l’accueil, et l’immense chantier en cours pour la restauration oblige le diocèse de Paris à penser et organiser la cathédrale pour ce qu’elle est : le lieu d’adoration du Dieu vivant et vrai, ouvert gratuitement à tous et dans lequel monte quotidiennement la louange du peuple de Dieu rassemblé par l’évêque du diocèse. Nous ne sommes donc pas dans des lubies modernistes au sens où il serait question de faire table rase du passé pour inventer quelque chose de nouveau et être à la mode. Il s’agit bien de permettre à Notre-Dame de Paris d’accomplir ce pour quoi elle a été érigée : un écrin pour le Corps du Christ (corps eucharistique de la célébration, corps ecclésial du rassemblement du peuple de Dieu), une catéchèse de l’Incarnation pour ceux qui ne connaissent pas le Seigneur Jésus qui a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme, un lieu d’accueil pour ceux qui cherchent Dieu et veulent l’adorer, un lieu catholique ouvert gratuitement à tous.
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Afin de réaliser cela, il faut donc réfléchir, imaginer et prévoir : ceux qui s’émeuvent en poussant de grands cris n’ont d’autres pensées que protéger la nostalgie de leur jeunesse traumatisée par un incendie tout en taclant ceux qui ont une responsabilité spirituelle. L’immobilisme conservateur n’a pas le monopole du bon goût et de la connaissance du beau. Il n’a surtout aucune conscience des enjeux de notre mission pastorale qui nous est accordée par le droit d’être affectataire de ce bâtiment.
La plus élémentaire des charités
Nous devons prévoir l’accueil de millions de visiteurs avec les contraintes de sécurité qui sont hélas aujourd’hui les nôtres. Si l’on pouvait à l’avenir éviter les Femen qui manifestent dans la cathédrale, les écrivains qui se suicident devant l’autel ou bien sûr tout risque d’attentat islamiste, il faut penser l’accueil en amont. Ensuite, il faut prévoir un chemin de catéchèse dans la cathédrale : qu’est-ce qu’un touriste asiatique sans aucune culture occidentale peut comprendre d’un tel bâtiment ? N’est-ce pas la plus élémentaire des charités que de le lui expliquer, en rendant compte à la fois du trésor architectural qu’il représente et du pourquoi de cette merveille architecturale ? Les deux ne s’opposent pas : ils se répondent l’un à l’autre et pour cela il faut réaménager le chemin que le touriste parcourt. Il faut aussi prévoir les célébrations liturgiques, avec l’accueil des milliers de fidèles (eh oui ! il faut prévoir des chaises), des retransmissions audiovisuelles, de la liturgie avec ses deux orgues et la maîtrise de Notre-Dame. Il faut aussi prévoir l’adoration personnelle du croyant, l’accueil de ceux qui veulent rencontrer un prêtre, se confesser ou simplement déposer leur fardeau auprès de personnes accueillantes et bienveillantes. Lorsque l’on fait l’accueil à Notre-Dame, la terre entière vient chercher un signe de l’amour du Christ et bien souvent ce sont des pauvres, des gens perdus, qui se disent : « À Notre-Dame, on m’accueillera, on m’écoutera. » Il serait criminel de penser la réouverture de Notre-Dame en faisant comme avant, sans laisser Dieu nous poser cette question simple : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »
Il y a des règles
Que les inquiets se rassurent : il y a des règles et l’Église n’a pas un pouvoir discrétionnaire ni dans l’aménagement intérieur ni pour les œuvres classées. Le ministre de la Culture a d’ailleurs clairement indiqué ce mardi 24 novembre qu’on ne pourrait pas remplacer les vitraux par exemple, ce qui n’était qu’une idée parmi tant d’autres. Rien n’est donc encore décidé, mais avec étonnement, je constate que c’est bien la première fois cette année que des personnes reprochent à un gouvernant — en l’occurrence l’archevêque de Paris — de vouloir anticiper.
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