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Rapport McCarrick : ce que savaient Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François

KARDYNAŁ MCCARRICK
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Hugues Lefèvre - Claire Guigou - publié le 10/11/20
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Faire la lumière sur la manière dont l’ex-cardinal McCarrick a pu gravir les échelons dans l’Église catholique sans jamais être inquiété malgré ses nombreux abus commis, telle était la demande du pape François en 2018. Deux ans plus tard, le « Rapport sur la connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017) » a été rendu public. Il révèle entre autres ce que savaient les papes Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François.

Faire la lumière sur la manière dont l’ex-cardinal McCarrick a pu gravir les échelons dans l’Église catholique sans jamais être inquiété malgré ses nombreux abus commis, telle était la demande du pape François en 2018. Deux ans plus tard, le « Rapport sur la connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017) » a été rendu public. Il révèle entre autres ce que savaient les papes Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François.

Épais de 445 pages, le « Rapport McCarrick » est un document inédit qui retrace depuis le pontificat de Paul VI la façon dont l’ancien haut prélat américain a brillamment évolué dans la hiérarchie de l’Église malgré les nombreuses allégations d’abus sexuels qui pesaient sur lui. Le rapport ne porte pas directement sur les faits reprochés à l’encontre de l’homme qui a aujourd’hui 90 ans mais cherche à comprendre comment l’Église a failli dans son jugement. On y apprend notamment que Jean Paul II avait bien été informé officiellement de soupçons importants à l’encontre de McCarrick par une lettre du cardinal O’Connor, archevêque de New York, en 1999. Pourtant, un an plus tard, celui qui s’appelait encore Mgr McCarrick était nommé archevêque de Washington puis élevé au rang de cardinal.

Paul VI ne savait rien

La synthèse du rapport McCarrick n’accorde qu’un bref paragraphe au rôle du pape Paul VI dans l’ascension de l’ex-cardinal. Certes, en 1977, le pontife italien nomme le jeune prêtre évêque auxiliaire de New York. Mais le rapport est formel : « la grande majorité des personnes consultées durant le processus de nomination a très fortement recommandé McCarrick pour qu’il soit élevé évêque ». Les auteurs insistent : « personne n’avait alors déclaré avoir été témoin ou avoir entendu parler d’un comportement inapproprié de la part de McCarrick, que ce soit avec des adultes ou des mineurs ».

Jean Paul II n’a jamais souhaité entendre les rumeurs insistantes

C’est sous le pontificat de Jean Paul II que des informations concernant le comportement déplacé de McCarrick vont remonter. Toutefois, lorsqu’en 1981, le pontife polonais le nomme évêque de Metuchen, tout comme lorsqu’il le nommera en 1986 archevêque de Newark, « aucune information crédible n’est apparue suggérant qu’il a commis une quelconque faute ».

Au contraire, le prélat est largement encensé pour ses talents pastoraux, son zèle d’évêque et son intelligence. Dans les diocèses de Metuchen et de Newark, McCarrick est ainsi reconnu pour être un « travailler acharné » mais aussi très actif au sein de la conférence épiscopale américaine. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il se fait remarquer pour « ses capacités à lever efficacement des fonds, tant au niveau diocésain que pour le Saint-Siège ».

Le prélat américain prend de plus en plus d’importance dans l’Église au États-Unis et dans l’Église universelle. Si bien qu’il est nommé en l’an 2000 archevêque de Washington puis, un an plus tard, créé cardinal. Mais ces décisions prises à l’époque par Jean Paul II posent question aujourd’hui puisqu’on apprend officiellement que de nombreuses allégations allant à l’encontre du prélat américain étaient connues du pontife polonais.


POPE AUDIENCE
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Le rapport est affirmatif : « les preuves montrent que le pape Jean Paul II a personnellement pris la décision d’élever McCarrick ». Or, le rapport exhume les éléments qui avaient été portés à la connaissance du chef de l’Église catholique d’alors.

D’abord, un prêtre avait affirmé avoir observé une « activité sexuelle » de McCarrick avec un autre prêtre en 1987. Ensuite, une série de lettres anonymes avaient été envoyées en 1992 et 1993 à la Conférence épiscopale américaine, au nonce apostolique aux États-Unis ainsi qu’à plusieurs cardinaux américains. Ces missives accusaient « McCarrick de pédophilie avec ses “neveux” ». Par ailleurs, une autre allégation rapportait que McCarrick était connu « pour avoir partagé un lit avec de jeunes hommes adultes » dans la résidence de l’évêque à Metuchen et de Newark. Dernier élément : il se disait que McCarrick avait « partagé un lit avec des séminaristes adultes dans une maison de plage sur la côte du New Jersey ».

De tout cela, Jean Paul II était au courant. En 1999, le cardinal O’Connor, archevêque de New York, avait rédigé une lettre au nonce apostolique dans laquelle il résumait les accusations (exprimées ci-dessus). Les auteurs du rapport écrivent que le contenu de cette lettre avait bien été partagé au pape, « peu de temps après ».

Malgré cet avertissement officiel, le pontife polonais a donc nommé McCarrick archevêque de Washington. Comment cela est-il possible ? Le rapport tente d’apporter des explications en sept points.

  • On apprend tout d’abord que le pape, avant de prendre sa décision, a demandé au nonce apostolique aux États-Unis de mener une enquête auprès de quatre évêques du New Jersey. Il s’avère que leurs réponses confirment que McCarrick a « partagé le lit avec des jeunes hommes ». Mais, précise le rapport, elles n’ont pas « indiqué avec certitude que McCarrick avait commis une quelconque inconduite sexuelle ». En outre, des réponses imprécises de la part des évêques américains auraient déprécié la qualité de l’enquête dont les conclusions n’auraient donc pas été bien considérées par Rome.
  • Deuxième élément de réponse qui pourrait expliquer l’aveuglement de Jean Paul II : une lettre rédigée par McCarrick lui-même en août 2000 et envoyée au secrétaire particulier du pape, Mgr Dziwisz. Cette missive du principal intéressé démontait les allégations rapportées précédemment par le cardinal O’Connor. McCarrick y soutenait par exemple : « en soixante-dix ans de vie, je n’ai jamais eu de relations sexuelles avec la moindre personne ».
  • D’autre part, le rapport précise que le Saint-Siège n’avait jamais alors reçu de plainte directe mettant en cause McCarrick. « Pour cette raison, les partisans de McCarrick ont pu qualifier les allégations portées contre lui comme étant des ragots ou des rumeurs », peut-on lire.
  • Le rapport note par ailleurs que la seule personne – un prêtre – qui s’était plainte de la conduite du prélat américain, n’a pas été sérieusement entendue puisque ce dernier avait par le passé abusé deux adolescents. « De plus, le Saint Siège n’avait pas reçu de document dûment signé de ce prêtre », précise-t-on.
  • Dans un cinquième argument, l’histoire personnelle du pape Jean Paul II est invoquée. Elle pourrait expliquer pourquoi il n’aurait accordé que peu de crédit à ces allégations. Ayant vécu dans un pays marqué par le totalitarisme nazi puis communiste, le pontife polonais savait que des rumeurs pouvaient être lancées à l’encontre de personnalités afin de les discréditer. N’ayant pas de preuve évidente des faits qui étaient reprochés à McCarrick, le pape Jean Paul II les aurait un peu trop rapidement écartés.
  • Autre point invoqué :  McCarrick était connu et reconnu pour être un évêque « capable de gérer des missions délicates et difficiles tant aux États-Unis que dans certaines des régions les plus sensibles du monde, y compris dans l’ancien bloc de l’Est et en particulier en Yougoslavie ». Sa notoriété et ses succès auraient pu éblouir et finalement amoindrir les jugements objectifs quant à sa personnalité.
  • Enfin, le rapport précise que McCarrick connaissait Jean Paul II depuis des années, leur première rencontre datant du milieu des années 1970. « Il a eu de nombreux contacts avec le pape, tant à Rome que lors de ses voyages à l’étranger, notamment lors de la visite du pape à Newark en 1995 ». Cette relation directe et étroite entre l’ex-haut prélat américain et Jean Paul II a probablement aussi influencé la prise de décision du pape.

Benoît XVI n’a pas souhaité de procédure canonique

Lorsque Benoît XVI est élu, les informations reçues par le Saint-Siège en lien avec la conduite de McCarrick sont les mêmes que sous Jean Paul II, précise le rapport. Après son élection en avril 2005 et sur recommandation de la Congrégation pour les évêques et du nonce à Washington, le pape allemand prolonge même de deux ans l’Américain à son poste. Ce sont les nouvelles révélations d’un prêtre qui conduisent le Saint-Siège à « faire marche arrière fin 2005 » et « à rechercher dans l’urgence un successeur » pour le siège de Washington, est-il écrit. McCarrick est quant à lui invité à démissionner « spontanément » après la période de Pâques 2006 puis à faire profil bas. Cette demande sera à nouveau faite par le Saint-Siège au prélat par écrit en 2008.

Les deux prochaines années seront marquées par les révélations de Mgr Viganò, alors en fonction à la Secrétairerie d’État. Ce dernier rédige « deux notes de bureau » à l’attention de ses supérieurs, l’une en 2006, la seconde en 2008, concernant les agissements du haut prélat américain. Dans ces documents, ce dernier s’inquiète du « scandale » qui pourrait éclater compte-tenu de la circulation des rumeurs. Il suggère alors « qu’une procédure canonique soit ouverte pour déterminer la vérité et, si cela est justifié, d’imposer une mesure exemplaire ».



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Une « série de facteurs » conduit Benoît XVI à ne pas initier un procès canonique, tente d’analyser le rapport en rappelant en premier lieu qu’il n’y avait à l’époque « aucune accusation crédible d’abus d’enfants ». En second lieu, « McCarrick avait juré » que les allégations étaient fausses, est-il encore stipulé. À cela s’ajoute que les accusations dataient d’avant 1980 et que le pape n’avait connaissance d’aucune « mauvaise conduite récente ».

Problème : en l’absence de sanctions canoniques et d’instructions explicites du Saint-Siège, le haut prélat américain « a continué ses activités aux Etats-Unis et à l’étranger » et a poursuivi son travail dans les différentes instances vaticanes dans lesquelles il avait une responsabilité.

Il faudra attendre la fin du pontificat de Benoît XVI pour que de nouvelles révélations surgissent. Elles émanent d’un prêtre qui raconte à Mgr Viganò, devenu nonce aux Etats-Unis, avoir eu des rapport sexuels « explicites » avec McCarrick. Ces révélations poussent, en 2012, le diplomate à écrire au cardinal Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, lequel invite le nonce à entreprendre une « enquête » avec des fonctionnaires diocésains afin de déterminer si ces allégations sont fondées.

Des recommandations que Viganò n’a pas suivies, précise le rapport : ce dernier ne s’est même jamais « positionné pour vérifier la crédibilité de ce troisième prêtre », est-il écrit.

Le pape François a fait confiance à ses prédécesseurs

Lorsque le pape François est élu, il ne modifie pas les fameuses consignes concernant les activités du haut prélat. Jusqu’à 2017, « personne » n’a fourni de documents concernant le cardinal McCarrick  au pape François – contrairement à ce qu’affirme l’ancien nonce Viganò. Le pape François ayant « seulement entendu » que le haut prélat avait été impliqué dans des « conduites immorales » avec des adultes.

Croyant que ces accusations  avaient déjà été « examinées et rejetées par le pape Jean Paul II » et sachant que le cardinal avait poursuivi son activité sous Benoît XVI, le pape François n’a pas jugé nécessaire de modifier « la ligne adoptée » les années précédentes, est-il expliqué.

L’affaire bascule en juin 2017, au moment où l’archidiocèse de New York enregistre une accusation d’abus sexuel impliquant une victime mineure. Une fois l’accusation jugée « crédible », le pape François demande alors la démission du haut prélat du Collège cardinalice.


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