L’art japonais du Kintsugi est l’art de transfigurer un objet brisé. Il montre la capacité de l’être humain à découvrir dans ses fragilités et ses fêlures autre chose que la peur et l’échec.Sen No Rikyu était un sage japonais, maître dans l’art de la cérémonie du thé. La légende raconte qu’il fut un jour invité chez un admirateur, fort honoré de sa présence, qui lui offrit un bol magnifique. Mais Sen No Rikyu ne semblait guère accorder d’attention à son hôte ni au précieux cadeau : totalement absorbé, il regardait par la fenêtre les montagnes alentour. Alors, dans un geste de colère, l’hôte humilié brisa le précieux bol. Des invités ramassèrent et emportèrent les morceaux. Quelque temps plus tard, l’hôte invita de nouveau Sen No Rikyu ainsi que ses amis, qui lui restituèrent le présent… reconstitué ! Ils avaient recomposé le bol en réunissant les morceaux cassés avec de la poudre d’or laquée. Le résultat était extraordinaire. Sen No Rikyu ne put cacher son admiration : « Maintenant, il est vraiment beau ! ».
Ainsi naquit l’art japonais du Kintsugi. Cette version sur son origine n’est pas la plus courante, mais c’est elle que je préfère. En ce temps de crise, d’épreuve et d’incertitude, elle me paraît ouvrir une fenêtre : celle de la capacité de l’être humain à découvrir dans ses fragilités et ses fêlures autre chose que la peur et l’échec.
Une certaine idée de la perfection
L’art Kintsugi défend d’abord une certaine idée de la perfection libérée du perfectionnisme. La beauté supérieure d’un objet intègre sans les cacher ses imperfections, les traces de l’épreuve ou encore les fragilités, pour les sublimer. Utiliser de la poudre d’or pour sceller les morceaux d’un vase brisé implique de ne pas s’arrêter à l’évidence du désastre. Ce n’est pas non plus réparer au sens de revenir à l’original. C’est dépasser une perfection passée pour en conquérir une nouvelle. Une personne accomplie a elle aussi, traversé des intempéries.
À l’épreuve incontournable de la cassure, l’art Kintsugi laisse place à une voie inédite. En toute fêlure subsiste une beauté non révélée. Et si cela était aussi vrai de nos épreuves ?
Un art de l’espérance
Un objet brisé est le plus souvent considéré comme bon à jeter, non comme le commencement d’une œuvre d’art. Il provoque d’autant plus de tristesse que sa facture était belle : on le regrette. Il représentait à lui seul une histoire, peut-être même le souvenir d’un être cher. Contrarié de le voir ainsi défiguré, on préfère s’en séparer plutôt que le garder ébréché ou cassé. À l’épreuve incontournable de la cassure, l’art Kintsugi laisse place à une voie inédite. En toute fêlure subsiste une beauté non révélée. Et si cela était aussi vrai de nos épreuves ?
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Recomposer ce qui est détruit, lui offrir une seconde vie, différente certes de la précédente, mais plus belle encore, comporte une joie d’autant plus grande qu’elle est inespérée. Comme le meilleur manager ou le coach, l’artiste du Kintsugi part de ce qui est, et fait jaillir de l’erreur ou de l’échec une étonnante nouveauté. Elle appelle en retour ce sentiment si rare de la gratitude.
À chacun son Kintsugi ?
N’allons pas chercher dans cet art si délicat une recette facile pour résoudre les fractures auxquelles notre monde est aujourd’hui confronté. L’ampleur des difficultés est telle que beaucoup sont tentés par le désespoir. Sans renier la nécessaire lucidité, il s’agit d’apprendre à renouveler notre espérance. Le Kintsugi est une voie. À chacun au fond de trouver son Kintsugi, sa manière à soi de refuser le monde détruit, de changer son regard et poursuivre avec passion le service de la vie toujours possible, y compris au cœur de nos organisations.
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