La liberté de culte, moins protégée que l’ouverture des magasins de bricolage, est-ce normal ? Notre chroniqueur, qui publie en décembre « Manger Dieu » (Le livre ouvert) s’inquiète surtout de la banalisation de la messe télévisée, contribuant à nier l’Incarnation. Il paraît que le gouvernement a tiré les leçons du premier confinement. C’est du moins ce qu’a déclaré le président de la République, droit dans les yeux des Français. Deux catégories de citoyens devraient bénéficier de ces leçons : les personnes âgées et les morts ! Du côté des personnes âgées, les visites dans les EHPAD seront possibles. Cela évitera sans doute que quelques-unes, à qui on voulait éviter de mourir du virus, ne meurent de chagrin dans la solitude, comme cela a eu lieu en avril. On se souvient de la prophétie géniale de Philippe Muray : « Nous vivons une époque formidable où tout le monde mourra bientôt en bonne santé. » Même si cela visait certainement la toute-puissance de la médecine et l’injection anticipée, ce n’est pas sans rapport avec les méthodes du premier confinement.
Le jour des morts
Pour honorer les morts, la leçon a également été tirée, nous assure Emmanuel Macron. Concrètement, cela signifie que le nombre de proches autorisés pour un enterrement passe de vingt à trente. Cela reste un peu court pour une famille nombreuse. Il y aura sans doute quelques petits-enfants qui devront tirer à la courte-paille pour savoir qui pourra assister aux obsèques de leur grand-mère. Il est vrai que le président déclara un jour : « Montrez-moi une femme, parfaitement éduquée, qui décide d’avoir sept, huit, neuf enfants ! » Si les petits-enfants de cette inculte n’ont toujours pas renié leur famille, ils ne pourront s’en prendre qu’à leur manque d’éducation s’ils ratent l’enterrement.
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Les morts seront honorés, donc. Il semble tout de même qu’une négociation ait été nécessaire pour qu’ils puissent être honorés… le jour des morts. Cela aurait pu aller de soi, mais ne boudons pas ce point : les messes ont finalement eu lieu le 2 novembre et des fidèles charnellement présents ont pu entendre cette Parole de Vie : « Frères, nous le savons, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre est détruite, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes » (2 Co 5, 1). Cela s’appelle la commémoration de tous les fidèles défunts et c’est nettement plus salutaire qu’un flash info dénombrant les morts de la semaine.
Une variable d’ajustement
De là à présenter cette messe « en plus » comme une bonne nouvelle, qui vaudrait au gouvernement notre gratitude, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Car si le Président prétend avoir tiré les leçons du premier confinement, les catholiques peuvent aussi en tirer quelques-unes des mesures imposées pour le reconfinement. La principale est sans doute celle-ci : la liberté de culte est décidément une variable d’ajustement pour ceux qui nous gouvernent. Elle est moins protégée que l’ouverture des magasins de bricolage.
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Au nom de la sacro-sainte « bienveillance » obligatoire, le fidèle interdit de sacrements par le premier confinement était tenu, à l’époque, de juger que ce n’était que l’effet d’une situation d’urgence imprévue. Condamné à agir vite, le gouvernement aurait été pris de court ; il aurait suspendu à la va-vite tous les rassemblements, les messes comme les spectacles de cirque, sans distinguer le prêtre du clown ou le Pain de Vie de la barbe-à-papa. Cette hypothèse est désormais intenable. Alors même qu’un arrêt du Conseil d’État a dénoncé entre temps des mesures disproportionnées, le gouvernement remet ça. Absolument rien, pourtant, ne peut justifier de suspendre les messes publiques en petit comité, alors même que les obsèques sont autorisées avec trente personnes. Et pourquoi six personnes seulement pour les mariages ? Le but est-il que les parents jouent aussi le rôle des témoins ? Si le prêtre était en outre le père de la mariée, on suppose que ce serait encore mieux.
Elle consiste à proclamer haut et fort que les disciples d’un Dieu fait chair, qui se donne à manger, ne peuvent pas se contenter de produits virtuels de substitution.
Or, même si on admettait que l’État était dans son droit, de manière exceptionnelle, en limitant le nombre de fidèles autorisés à assister à une cérémonie, il n’a aucune légitimité pour décider quel type de célébrations a lieu entre les murs qu’il entretient. Quant à parler de situation extrême, rappelons l’article 34 de la convention de Genève de 1949 : « Toute latitude sera laissée aux prisonniers de guerre pour l’exercice de leur religion, y compris l’assistance aux offices de leur culte. » Nous ne doutons pas que le Président Macron estime traiter les confinés au moins aussi bien que des soldats ennemis emprisonnés.
Une nouvelle Église, sans le corps du Christ ?
Mais il y a une autre leçon à tirer pour les catholiques, qui ne dépend nullement du bon vouloir du gouvernement. Elle consiste à proclamer haut et fort que les disciples d’un Dieu fait chair, qui se donne à manger, ne peuvent pas se contenter de produits virtuels de substitution. Pour prolonger la suspension du culte public, Christophe Castaner, on s’en souvient, déclara : « Je pense que la prière n’a pas besoin de lieu de rassemblement où on ferait courir un risque à l’ensemble de sa communauté religieuse. » La plus sûre manière de lui donner raison est de chanter joyeusement la richesse des solutions numériques alternatives.
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En réponse à un prêtre qui refusait de vanter sans nuances les messes par écran interposé, une lectrice écrivit dans un magazine, à propos du confinement : « Ce fut un magnifique arc-en-ciel planétaire de voix et de cœurs unis dans une même adoration. Une Église virtuelle peut-être, mais bien réelle et concrète. » Peut-être ne s’agissait-il que de faire contre mauvaise fortune bon cœur, mais la présence de l’arc-en-ciel inquiète un peu : on dirait une nouvelle alliance, qui n’a plus besoin de corps livré et de sang versé. À lire une déclaration si enthousiaste, on a le sentiment que la communion virtuelle n’était pas du charnel par défaut : elle était au contraire l’apothéose d’un charnel essoufflé, qui accédait enfin au statut indépassable d’événement numérique. La Cène s’élevait soudain à la dignité de café connecté.
Qui ne voit que tous les éloges des merveilles de l’écran font le jeu de la « théologie » approximative de Christophe Castaner et contribuent à nier l’Incarnation ? C’est pourquoi il est légitime, plutôt que de retourner en hâte à sa messe connectée préférée, de lutter contre la suspension des messes publiques et des confessions, pour avoir au moins les mêmes droits que les prisonniers de guerre. Car si la leçon de la privation eucharistique du premier confinement n’est pas, avant tout, que la folie amoureuse de Dieu consiste à descendre « jusqu’à la Croix des intestins », selon la formule lumineuse de Max Jacob, la partie est perdue d’avance. Le vainqueur ultime ne sera pas le virus, mais l’esprit du monde, qui n’a guère à craindre d’un spiritualisme désincarné et de la communion des saints smartphones. Alors, sans doute, les morts continueront-ils à être honorés, mais comme des corps détruits, et non plus comme des corps glorieux.
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