Professeur d’Histoire comme le fut Samuel Paty, Nicolas Prévost enseigne à ses élèves à comprendre la France à travers son histoire et sa beauté. Pour lui, l’apprentissage de la liberté d’expression et de la cohésion nationale passe par ce « goût de la France ». Le terrible assassinat de notre collègue Samuel Paty, ce vendredi 16 octobre 2020, me bouleverse, comme il a bouleversé toute la communauté éducative et toute la France. Comme tant d’autres personnes, je me suis retrouvé plongé dans le cauchemar des attentats précédents. La mort atroce de Samuel Paty m’a notamment remémoré ma profonde détresse et mon immense colère quand j’avais appris l’égorgement du père Jacques Hamel alors qu’il célébrait la messe dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray en juillet 2016.
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Il peut y avoir débat sur les caricatures de Mahomet, sur l’opportunité ou l’intérêt didactique de les montrer ou non, mais quoi qu’il en soit, la liberté pédagogique doit continuer à être totale, sur ce sujet comme sur d’autres, c’est un bien tellement précieux. Les professeurs ont chacun leur sensibilité et les sujets pour lesquels ils sont à l’aise, et ils seront à même d’illustrer comme ils le souhaitent leurs cours sur la liberté d’expression. Mais pour ma part, au-delà de cela, ce que je voudrais surtout en tant que professeur d’histoire, c’est qu’enfin on redonne à nos élèves le goût de la France. La cohésion de notre société passe aussi par là.
Apprendre à voir
J’ai longtemps enseigné en établissement ZEP en banlieue parisienne, et à cette époque pas si lointaine, j’aimais déjà beaucoup emmener mes élèves voir la nécropole des rois de France à la basilique Saint-Denis. Je leur racontais aussi, à la Chapelle expiatoire de Paris, les derniers moments du roi Louis XVI. Je leur parlais de Léonard de Vinci au château de Chambord ou du sacre royal à la cathédrale de Reims, et je les emmenais sur les traces de nos valeureux Poilus de 1914-1918 à Verdun. Mais ZEP ou pas ZEP, de toute façon peu importe car les enjeux sont évidemment les mêmes dans n’importe quelle école de France : ce que j’attends beaucoup de l’enseignement de l’Histoire, c’est que ce soit un enseignement qui fasse enfin comprendre ce qu’est la France, et un enseignement qui développe aussi un sentiment d’appartenance, et pourquoi pas même d’identification, à une nation qui est une des plus anciennes au monde.
Qu’est-ce qui n’est pas plus fondateur pour notre pays que des sujets comme Clovis, comme la naissance du christianisme, comme Louis XIV et Versailles ou comme Napoléon ?
Or, ce n’est plus toujours le cas aujourd’hui. On peut par exemple évoquer la manière dont se retrouve actuellement découpé le programme d’Histoire au collège, qui entraîne au niveau des élèves des lacunes très grandes pour comprendre la France. Ainsi, Clovis n’est plus dans le programme de 6e, alors que ce roi, par son baptême à Reims, est pourtant fondateur du regnum francorum marquant le passage de la Gaule à la France. Quant à la naissance du christianisme, si nécessaire à appréhender pour comprendre notre pays aux 50.000 églises, elle est placée en fin de 6e, donc souvent non traitée par les enseignants par simple manque de temps. En 5e, Louis XIV et Versailles se retrouvent relégués en fin d’année scolaire, donc parfois totalement oubliés là aussi par manque de temps. Pourtant, qu’est-ce qui n’est pas plus fondateur pour notre pays que des sujets comme Clovis, comme la naissance du christianisme, comme Louis XIV et Versailles ou comme Napoléon ?
Le sens du beau et du bon goût
Notre époque aussi a besoin de grandeur, elle a aussi besoin de transmettre aux enfants le sens du beau et du bon goût. Ces valeurs n’appartiennent pas au passé, elles sont intemporelles. Les « jeunes d’aujourd’hui », pour reprendre une expression appréciée des anciens, sont abreuvés de réseaux sociaux et d’images parfois choquantes. L’école doit bien sûr apprendre à les décrypter et à utiliser avec circonspection tout ce trop-plein d’images et informations, mais l’école doit aussi offrir du beau, du vrai, du spirituel. La France, ce n’est pas seulement une communauté de citoyens ou une « république », c’est aussi un pays qui a subtilement toujours recherché la beauté et la grandeur, et qui a su les mêler avec la douceur de vivre. Nos ancêtres ont souvent donné le meilleur d’eux-mêmes pour édifier ces immenses cathédrales et ces impressionnants châteaux que nous aimons tant. Et la civilisation française a même fait de l’art de vivre, et pas seulement celui de bien manger, une composante essentielle de son identité et de sa réputation à travers le monde.
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Quand je parle de liberté d’expression avec mes élèves ou dans la vie courante, ma position est toujours la même : la liberté d’expression doit être totale, à l’exception de la diffamation, de l’insulte et de l’intimidation. Ne nous laissons donc pas intimider par quiconque, défendons notre liberté d’expression, mais parlons aussi de nouveau un peu plus de la France aux plus jeunes, faisons aimer et comprendre la France et son histoire grandiose, et agissons également toujours dans tous les cas avec subtilité et détermination, pour le bien de tous, et notamment aussi en mémoire de notre collègue.