Connu comme l’un des plus grands marchands d’art de France, Hervé Odermatt, aujourd’hui âgé de 94 ans, a eu une vie digne des meilleurs romans d’aventure. Mais c’est certainement sa conversion qui demeure l’un des épisodes les plus fondateurs et mystérieux de son histoire.Certaines vies semblent directement sorties de romans d’aventure dont on dévore les pages, le soir, et qu’il est impossible de reposer sans l’avoir terminé. Celle d’Hervé Odermatt en fait incontestablement partie. Aujourd’hui âgé de 94 ans, il a été l’un des plus grands marchands d’art de France. Mais ce serait bien dommage de le cantonner à sa profession. Tout au long de sa vie, qu’il raconte dans un livre autobiographique, Le Chinois (Mame), la petite histoire n’a cessé de s’entremêler à la grande. Né en 1926 d’une jeune fille de bonne famille alsacienne et d’un étudiant chinois, père qui a disparu lorsqu’il était âgé de 5 ans sans jamais l’avoir reconnu, Hervé Odermatt a connu une enfance néanmoins aimante, élevé au sein d’une famille de paysans de la Loire.
Le deuxième grand bouleversement de sa vie intervient à l’âge de 18 ans, lorsqu’il s’engage, un matin d’avril 1944, dans la Résistance. “Pendant toute cette période, j’avais pris la mesure à la fois de mon audace, de ma perspicacité, et le goût du risque”, écrit-il.
Résistant, bottier… et marchand d’art
Une audace qui lui sert à nouveau à l’issue de la Deuxième guerre mondiale lorsqu’il décide de devenir bottier. Une profession dans laquelle il excelle et qui va finalement le propulser vers l’art. Doté d’un sacré coup d’œil, il va devenir l’un des plus grands marchands de la place de Paris, donnant son nom à plusieurs galeries, d’abord à Montmartre puis avenue de Matignon. Au fil de ces années à côtoyer la beauté d’œuvres d’art, il noue des amitiés insolites avec l’acteur et chanteur américain Robert Mitchum, l’artiste Debbie Reynolds mais aussi Lise Bourdin, Alain Delon Jacques Chirac, Jacques Chaban-Delmas ou encore François Mitterrand.
Si sa vie n’a jamais cessé d’être trépidante, sa conversion n’en demeure pas moins un tournant fondateur. “Longtemps j’ai cru que tout ce qui m’arrivait d’assez extraordinaire était une question de chance”, raconte Hervé Odermatt dans son livre. “Aujourd’hui j’y vois la main de Dieu. La chance n’existe pas”. Il aurait pu continuer à partager son temps entre l’art, les courses de chevaux et le golf, ses trois passions. Mais l’histoire en a décidé autrement. À 57 ans, alors qu’il arrive plus tôt sur un green, il reste littéralement scotché devant un autocollant accroché sur le pare-brise d’une voiture derrière laquelle il se gare : SOS Prière, suivie d’un numéro de téléphone.
J’ai ressenti avec toute sa puissance l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu. Avec ces larmes, ce fut un premier grand nettoyage qui a tout changé.
Peu de temps après, il décide d’appeler le numéro et de se rendre au groupe de prière. Les deux premières fois qu’il se présente, il ressent une forme de gêne, ne trouve pas pleinement à sa place. Mais le mercredi d’après, alors qu’il décide d’y retourner et d’être lui aussi acteur de la prière, les mots lui manquent. “Je me suis levé, je me suis mis à genoux et je leur ai dit : “Priez pour moi !””. Et tandis que les membres de son groupe de prière le prennent par la main et se mettent à prier pour lui, il éclate en sanglot. “J’ai ressenti avec toute sa puissance l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu. Avec ces larmes, ce fut un premier grand nettoyage qui a tout changé”.
À partir de cet instant, il assure n’avoir plus été le même. Une renaissance dont il témoigne autour de lui de manière lumineuse. “Il a fait résonner en moi la vraie vie, le bonheur pour lequel j’ai été créé : partager la joie du Seigneur, vivre comme un don d’amour chaque moment de la vie et le communiquer aux personnes qui sont à mes côtés”. C’est ainsi, par exemple, qu’il fut l’un des artisans de la conversion d’Henri Bénézit, l’un des historiens d’art les plus célèbres du XXe. Au fil des conversations qu’ils ont ensemble, un dialogue profond s’installe entre les deux hommes jusqu’au baptême d’Henri Bénézit alors qu’il avait un peu plus de 70 ans.
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Sa conversion, il l’a également traduite en actes en fondant, il y a une dizaine d’années, les Maisons de Claire et de Jeanne qui aident des jeunes Malgaches à sortir de la grande pauvreté et de l’exploitation sexuelle. Un projet qu’il porte en partenariat avec Asmae, la fondation de sœur Emmanuelle. Il se concrétise par l’inauguration d’une première maison de Jeanne en juin 2015. Quatre autres ont vu le jour depuis. “Le Seigneur n’y va pas de main morte, quand il promet une nouvelle alliance. Quelle sera la suite ?”, s’interroge Hervé Odermatt. S’il reconnaît volontiers l’ignorer aujourd’hui, une chose est sûre pour lui : “L’avenir sera dans la main de Dieu”.
Le Chinois : itinéraire d’un enfant placé jusqu’au cœur du gotha mondial, par Hervé Odermatt, Mame, septembre 2020, 17 euros.