Les obsèques de Juliette Gréco ont eu lieu ce lundi 5 octobre à l’église Saint-Germain-des-Prés. “Juliette Gréco a recherché l’amour, elle l’a chanté, elle l’a approché”, a rappelé Mgr Benoist de Sinety, vicaire général du diocèse de Paris, dans son homélie. “Elle aimait entrer dans les églises, y brûler un cierge, y faire une prière. Devinait-elle alors l’Amour dont son Créateur l’aime et dont ces murs veulent porter l’annonce ?”C’est en présence de nombreuses personnalités de la culture et des arts mais aussi de quelques anonymes qu’ont été célébrées ce lundi 7 octobre après-midi en l’église de Saint-Germain-des-Prés (Paris) les funérailles de la chanteuse iconique Juliette Gréco. “Dans ce quartier de Paris et bien au-delà, Juliette Gréco a recherché l’amour, elle l’a chanté, elle l’a approché” a lancé dans son homélie le vicaire général du diocèse de Paris, Mgr Benoist de Sinety. “Elle aimait entrer dans les églises, y brûler un cierge, y faire une prière. Devinait-elle alors l’Amour dont son Créateur l’aime et dont ces murs veulent porter l’annonce ? Comprenait-elle que Dieu la jugeait digne d’être aimée de Lui, comme il le fait d’ailleurs pour chacun de nous, ou bien se sentait-elle un peu trop éloignée, un peu trop « pas assez » ?”.
Revenant longuement sur la figure de Marie-Madeleine, il a également rappelé que si au pied de la croix “il y a Marie, image de l’humanité réconciliée avec Dieu dans une communion sans faille avec son Créateur”, il y a aussi Madeleine, “image de notre condition terrestre où nous sommes tiraillés par ce mal que nous redoutons de faire et que nous faisons quand même, et par le bien que nous avons tant de mal à mettre en œuvre”. “Cette Madeleine de laquelle chaque croyant est invité à recevoir la Bonne Nouvelle qu’un pardon est toujours possible. Cet éternel féminin que Juliette Gréco aimait, qu’elle priait et à laquelle elle se confiait sans vergogne.”
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Eglise Saint Germain des Prés
Lundi 5 octobre 2020
Parce qu’il y a dans toute vie un espace de solitude, cette croix que l’Evangile place en face de nos regards, cette croix où la mort se dévoile implacable, cette croix, oui, nous concerne tous.
Les derniers jours sont sans doute le temps pour chacun d’une profonde révélation. Seul, alité, abandonné entre les mains expertes de ceux qui soignent, qui reste-t-il pour dire « je t’aime » à celui, à celle, qui sent sa vie s’enfuir ?
Les chrétiens lisent dans la mort de Jésus le récit de leur propre faiblesse : de tous ces hommes qui l’ont suivi, il n’en reste qu’un, saint Jean, qui est presqu’un enfant. Mais il y a les femmes : sa mère bien sûr car l’amour d’une mère résiste à toute peur. Il y en a d’autres avec elle, et puis il y a la Madeleine. Cette autre Marie, celle dont on nous dit que sa vie n’a pas été des plus sages, ni des plus morales. Cette Marie-Madeleine que Jésus rencontre quelque temps avant de mourir et qu’il sauve de la folie religieuse de ses contemporains. Cette femme qu’il relève quand tous ricanent de la voir à terre. Cette femme à laquelle il reconnaît une grande dignité alors qu’elle ne recevait que mépris de ceux-là même qui l’utilisait. Cette Madeleine de laquelle chaque croyant est invité à recevoir la Bonne Nouvelle qu’un pardon est toujours possible. Cet éternel féminin que Juliette Gréco aimait, qu’elle priait et à laquelle elle se confiait sans vergogne.
Au pied de la croix il y a Marie, image de l’humanité réconciliée avec Dieu dans une communion sans faille avec son Créateur et il y a Madeleine, image de notre condition terrestre où nous sommes tiraillés par ce mal que nous redoutons de faire et que nous faisons quand même, et par le bien que nous avons tant de mal à mettre en œuvre…
En fait, dans cette scène si représentée par tant d’artistes, il y a, finalement, quelque chose de familier, de tragiquement ordinaire. Un homme qui meurt et qu’on préfère, à l’exception de quelques rares témoins, ne pas trop regarder en face. C’est tellement plus simple de détourner le regard devant l’homme qui souffre, de se convaincre que l’on est impuissant et que, de toute façon, il n’y a rien à y faire. C’est pour cela qu’elles sont si importantes ces femmes. Elles disent en silence, mais fermement, qu’il y a toujours quelque chose à faire, et que lorsqu’on semble sans ressource, sans capacité d’empêcher l’inexorable, il reste toujours la possibilité d’aimer. Elles disent qu’on peut bien décider de priver un homme de sa vie, mais qu’on ne pourra jamais empêcher qu’il soit aimé par d’autres.
C’est cet amour qui bat dans le cœur de ces femmes, dans le cœur de Madeleine. Cet amour qui se nourrit d’un amour qu’elle a reçu alors qu’elle se pensait perdue et qu’elle était aux portes de sa mort. Le regard de Jésus posé alors sur elle, non pour la juger, mais pour la relever, non pour la condamner mais pour la rendre à la vie : c’est ce regard qui l’a rendu capable d’être là, au pied de la croix. Simplement parce qu’elle l’aime.
Lorsque le soldat percera le cœur de l’homme mort, comme l’évangéliste, elle en verra jaillir de l’eau avec le sang versé. Cette eau, signe de vie, qui irrigue la terre et féconde les déserts. Du cœur du Fils de Dieu, jaillit cette eau qui porte à tout homme l’assurance qu’il est béni, et donc qu’il est aimé. Et voici qu’aussitôt apparaissent les visages de nouveaux disciples : Joseph et Nicodème, qui jusqu’alors se cachaient, sortent de l’ombre et de la nuit, et se révèlent au risque des bourreaux. Devant tout cet amour, qui pourrait résister ?
Dans ce quartier de Paris et bien au-delà, Juliette Gréco a recherché l’amour, elle l’a chanté, elle l’a approché. Elle aimait entrer dans les églises, y brûler un cierge, y faire une prière. Devinait-elle alors l’Amour dont son Créateur l’aime et dont ces murs veulent porter l’annonce ? Comprenait-elle que Dieu la jugeait digne d’être aimée de Lui, comme il le fait d’ailleurs pour chacun de nous, ou bien se sentait-elle un peu trop éloignée, un peu trop « pas assez » ?
L’amour de sa petite-fille et de quelques proches qui l’a accompagné est pour elle le signe de cet Amour plus grand encore, fidèle et inébranlable de ce Dieu qui ne veut laisser personne sur le bord du chemin.
Vous qui êtes dans cette église et vous qui vous tenez à l’extérieur, vous l’avez bien entendu : pour Dieu, personne ne doit rester sur le bord du chemin. Chacun trouve à ses yeux une égale dignité et une grandeur semblable. Aux yeux de Dieu celui qui se sait le plus petit passe même avant ceux qui se pensent puissants. Les femmes dont tous se moquent et qui sont recouvertes du mépris des orgueilleux, sont là au pied de la croix, plus proches que tout autre du Christ. Alors que ceux qui les méprisent, et qui peut-être croient détenir la vérité de la vie, se tiennent à distance. Et c’est sur elles, ces femmes, que la bénédiction de Dieu, le signe de son amour, se répand. Afin qu’elles en soient ensuite les messagères pour ceux qui les jaugeaient et qui y ont droit bien sûr ; mais saurons-ils l’accueillir ?
J’évoquais les murs de cette église, frères et sœurs, alors, s’il vous plaît, levez les yeux vers ses voûtes. Voyez-vous ces étoiles qui scintillent pour vous ? Elles ne sont pas le reflet de nos fausses gloires humaines qui pourtant souvent nous coûtent tant à obtenir. Elles sont les lumières qui nous guident dans la nuit, elles annoncent qu’aucune obscurité ne saurait nous engloutir. Elles reviennent, dans chacune de nos nuits pour guider nos pas hésitants et craintifs sur le chemin qui nous mène à Celui qui nous aime. Là où tout homme est appelé pour toujours à jouir de la communion pleine et entière avec Dieu lui-même. C’est là, telle est l’Espérance de l’Eglise pour chacun, que Juliette est invitée à entrer. Dans ce lieu où il n’y a plus d’après car en Dieu tout est « aujourd’hui ». C’est pour cela que nous sommes réunis : prier pour elle, dans l’Espérance forte que cet amour qu’elle a tant cherché et tant chanté, puisse désormais, pour toujours, la désaltérer.
Ici, dans cette église de Saint Germain des Prés, il n’y a plus d’après car nous sommes invités à comprendre que c’est aujourd’hui, ici, et maintenant que le Seigneur nous invite à consentir à Lui ouvrir les portes de nos vies. Afin que nous entendions qu’Il ne nous laissera jamais seuls et que la mort n’est jamais le dernier mot de l’histoire d’un homme. Que celle-ci, toujours, au final, doit s’incliner devant la puissance de vie d’un Dieu qui nous a créés, nous aime et nous veut avec Lui.
Benoist de Sinety +