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Bertrand Badré : “Nous devons remettre l’homme et la planète au cœur de l’équation économique”

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Bertrand Badré.

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Agnès Pinard Legry - publié le 02/10/20
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Ancien directeur de la Banque mondiale et ancien directeur financier du Crédit agricole et de la Société générale, Bertrand Badré, désormais à la tête d’un fonds d’investissement responsable, voit dans la crise actuelle l’occasion de réorienter l’économie mondiale vers un système qui place l’homme et la planète en son centre. Entretien.À 52 ans, Bertrand Badré a déjà vécu plusieurs vies. Diplômé d’HEC, de Sciences Po et de l’ENA, il a exploré au fil des années « tous les recoins et métiers » de la finance reconnaît-il volontiers. Après un passage au ministère des Finances, il rejoint la banque Lazard à Londres puis à New York jusqu’à devenir associé. Au début des années 2000, c’est le cabinet de Jacques Chirac qu’il intègre afin de s’occuper des questions de développement. En 2007, il devient directeur financier du Crédit Agricole : un poste clef au moment où le monde affronte une violente crise financière. Après un passage rapide à la Société générale en tant que directeur financier, il est nommé à la Banque mondiale où il occupe la fonction de directeur général et directeur financier. De ces lignes de CV, Bertrand Badré en garde des réflexions, des rencontres, des défis et une conviction : un changement de modèle économique est possible. Encore faut-il l’encourager. Pour ce financier, ce changement s’est incarné professionnellement par la création d’un fonds d’investissement responsable qu’il a appelé Blue Like en Orange. Aujourd’hui, à l’occasion de la sortie de son livre Voulons-nous (sérieusement) changer le monde (Mame), il livre à Aleteia son diagnostic et ses perspectives afin de repenser le monde et la finance pour l’après Covid.

Aleteia : Quel est votre diagnostic sur la situation économique mondiale actuelle ?
Bertrand Badré : La crise économique que nous traversons actuellement est extrêmement grave. Elle est comparable en intensité aux plus grandes crises du XXe et du XXIe siècle. Il s’agit d’une crise inédite car elle frappe à la fois l’offre et la demande. Du côté de l’offre, les usines et les services se sont arrêtés avec le confinement tandis que l’offre a été confinée donc elle n’a pas pu s’exprimer. Dans les grandes économies développées, je pense à l’Europe, aux États-Unis, à la Chine ou encore au Japon, nous avons pu mettre des moyens pour éviter l’effondrement complet des économies mais on voit bien que nous sommes sur une stratégie de retour à la normalité qui peut prendre entre deux et quatre ans. Et encore, le délai va être encore plus long pour certains secteurs comme celui des transports aériens. Ce n’est pas une crise de la mondialisation ou du capitalisme mais c’est une crise qui révèle et accentue une ligne de fracture de notre modèle économique que nous n’avions pas traité lors de la précédente crise économique.

S’agit-il d’ajuster le système ou de changer de système ?
La question qui se pose désormais est comment allons-nous rebondir et faire face aux prochaines crises notamment environnementales et sociales ? Dans les années 1970-1980, c’est le modèle néo-libéral qui s’est mis en place avec symboliquement le consensus de Washington avec cette définition de la responsabilité sociale de l’entreprise formulée par Milton Friedman il y a cinquante ans : l’objet de l’entreprise, sur lequel repose de fait le capitalisme actionnarial et financier, est de maximiser le profit. En soi ce n’est pas un système mauvais, il a même permis de tirer une partie du monde de la pauvreté, et à contribuer à l’effondrement du communisme. Il a eu un certain succès mais a touché ses limites lors de la crise financière due notamment à un excès de dérèglementation. Les années 2008-2010 ont été une première alerte et nous avons réformé le secteur bancaire, consolidé les lignes de défense mais nous n’avons pas repensé les fondamentaux du système.

L’idéal serait de profiter de la crise du Covid-19 pour faire ce que nous n’avons pas pu ou pas voulu faire lors de la dernière crise.

Vers quoi devraient ou pourraient tendre ces fondamentaux ?
Avec l’accord de Paris sur le climat en 2015, et la même année à New York le sommet des Nations unies sur le développement durable, nous avons déjà la feuille de route mondiale qui nous propose un modèle de croissance inclusif et durable. Mais reste-il compatible avec la manière dont fonctionnent nos marchés et la finance ? Cinq ans après les accords de 2015, on voit bien qu’il n’y a pas eu beaucoup de progrès. Bien sûr il y a des exemples çà et là, des choses se passent mais elles restent très largement dépendantes de la bonne volonté de chacun. Le système global ne pousse pas à aller dans cette direction.

Cela transforme fondamentalement notre vision de l’entreprise…
Professeur à Oxford, Colin Maier, assigne une nouvelle responsabilité à l’entreprise. Cette dernière doit avoir pour objectif de trouver des solutions profitables pour résoudre les problèmes de la planète et de ses habitants. Ainsi, le profit devient un moyen en vue d’une fin. Il s’agit de remettre l’homme et la planète au cœur de l’équation économique. Cela nécessite de repenser les normes comptables, les modes de rémunération… Il faut ouvrir le capot et repenser les sujets techniques !

Quand on est en responsabilité aujourd’hui, on ne peut pas juste suivre les règles du jeu. Il faut s’interroger en permanence : vais-je dans la bonne direction ?

La crise sanitaire actuelle ne complique-t-elle pas une telle transformation ?
Non, au contraire ! L’idéal serait de profiter de la crise du Covid-19 pour faire ce que nous n’avons pas pu ou pas voulu faire lors de la dernière crise. Cette phrase, qui a été attribuée à de nombreuses personnalités, a sa part de vérité : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Quand il n’y a pas de crise on ne réforme pas mais quand il y a une crise, on réforme et c’est dur. Mais nécessaire.



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Comment aider les décideurs à impulser ce changement ?
Il n’y a pas de recommandation unique. Mais une chose est sûre : quand on est en responsabilité aujourd’hui, on ne peut pas juste suivre les règles du jeu. Il faut s’interroger en permanence : vais-je dans la bonne direction ? J’étais récemment en discussion avec le comité exécutif d’une grande entreprise française dont le business est actuellement sous pression. Dans ce cas comme dans d’autres, ce qui est important est de ne pas casser l’identité, l’ADN, les valeurs. Mais à l’image d’un arbre, il est nécessaire de le tailler régulièrement pour qu’il pousse.

Vous avez eu de nombreux postes à responsabilités. Les choix que vous avez dû faire ont-ils été parfois plus difficiles compte tenu de votre foi ? ou au contraire plus simple ?
Quand vous êtes en entreprise, ce en quoi vous croyez ne vous donne pas une intelligence supérieure. Cela vous rend la vie en même temps plus compliquée – certains vous interpellent en vous demandant comment en tant que catholique on peut faire telle chose – et en même temps cela la rend plus simple car nous avons une boussole. L’enseignement social de l’Église est une des matrices de ma réflexion sur le fonctionnement de l’économie et la place de l’homme dans le système. Le conseil que je donne toujours ? Il ne faut pas trahir sa vision et son rêve, il faut avoir une boussole et la conserver bien en main. En fonction de la route, on doit accepter de tirer des bords, de suivre des virages en épingle à cheveux… On doit accepter de se tromper, de rebrousser chemin mais, surtout, de garder l’énergie de se relever et de continuer.

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Mame

Voulons-nous (sérieusement) changer le monde ?, Bertrand Badré, Mame, septembre 2020, 17 euros

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