Marie qui s’élève au Ciel le jour de l’Assomption est la “nouvelle Ève” auprès du Christ, le “nouvel Adam”. Ce parallèle justifié abondamment par les Pères de l’Église est “le grand enseignement rudimentaire de l’Antiquité chrétienne” (cardinal Newman). Il manifeste l’unité du plan de salut voulu par Dieu.Trois passages-clés de l’Écriture permettent d’appeler Marie “nouvelle Ève” : le passage de la Genèse appelé “Protévangile” où Dieu s’adresse au serpent, la vision du Christ comme “nouvel Adam”, la désignation de Marie par Jésus sous le nom de “Femme”.
Dans le texte de Gn 3, 15, Dieu s’adresse au serpent des origines : “Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon.” Un commentaire autorisé — celui du pape Jean Paul II — relève à quel point “il est significatif que l’annonce du rédempteur, du sauveur du monde, contenue dans ces paroles, concerne “la femme”. Celle-ci est nommée à la première place dans le protévangile, comme ancêtre de celui qui sera le rédempteur de l’homme. Et si la rédemption doit s’accomplir par la lutte contre le mal, par l’hostilité entre le lignage de la femme et le lignage de celui qui, comme “père du mensonge” (Jn 8, 44), est le premier auteur du péché dans l’histoire de l’homme, ce sera aussi l’hostilité entre lui et la femme. Dans ces paroles s’ouvre la perspective de toute la révélation, d’abord comme préparation à l’Évangile, puis comme l’Évangile lui-même. Dans cette perspective, les deux figures de femme : Ève et Marie, se rejoignent sous le nom de la femme” (Mulieris dignitatem, n.11).
Une femme contre le mal universel
Première annonce d’une victoire sur le mal, cette parole divine est couramment appelée le “Protévangile” (Gn 3, 15), c’est-à-dire la première bonne nouvelle du Salut. Or, ce verset biblique du Protévangile devait connaître une étonnante résonance liée à des vicissitudes de traduction. Le texte hébreu en effet semblait dire que la postérité de la femme écraserait la tête du serpent. Autrement dit, le mal serait vaincu par le peuple issu de la première Ève. Mais déjà la traduction grecque appelée Septante (LXX, IIIe siècle avant Jésus-Christ) semble insinuer que ce serait un descendant d’Ève qui terrasserait le serpent. C’était infléchir le texte dans un sens plus nettement messianique. Un fils d’Ève sera vainqueur du mal.
“Dieu promet que c’est la femme elle-même, et non plus sa descendance, qui écrasera la tête du serpent.”
La traduction latine de saint Jérôme connue sous le nom de Vulgate allait quant à elle orienter dans un sens marial l’exégèse de ce même verset. On lisait en effet : “Inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum et tu insidiaberis calcaneo eius”. Le pronom personnel féminin ipsa, que nous avons souligné, ne peut se rapporter qu’à mulier, la femme. Autrement dit, pour la Vulgate, Dieu promet que c’est la femme elle-même, et non plus sa descendance, qui écrasera la tête du serpent. Toute la tradition latine allait donc interpréter ce verset dans le sens d’une prédiction de la Vierge Marie, femme qui foule au pied le mal. C’est la source de l’abondante iconographie qui présente Marie piétinant l’antique serpent satanique. On comprend que cette interprétation du texte biblique préparait l’adoption du dogme de l’Immaculée Conception. Il était clair que la Vierge Marie était cette femme victorieuse du péché annoncée par Dieu lui-même dans le protévangile.
La comparaison du Christ avec Adam
Le Nouveau Testament établit la comparaison du Christ avec Adam et c’est à partir de là que l’on en est venu à penser l’opposition Ève-Marie. Saint Paul développe ce parallèle entre Adam et le Christ (cf. Rm 5, 12-21 ; 1 Co 15, 22). Comme le déclarait le pape Jean Paul II, “auprès de toutes les générations, dans la tradition de la foi et de la réflexion chrétienne sur la foi, le rapprochement entre Adam et le Christ va souvent de pair avec le rapprochement entre Ève et Marie”.
Le Christ, engendré par Marie, est le nouvel Adam qui répare la faute commise par celui-ci. “C’est de la descendance d’Abraham qu’il se charge” (He 2, 16). Or, par Jésus-Christ, nous sommes “descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse” (Ga 3, 29). Et, à partir de cet ancêtre, nous rejoignons Adam. “Le Logos visite Adam dans le sein de la Vierge Mère” (saint Hippolyte, Fragment de la grande Ode). Pour saint Basile de Césarée (329-379), “de même que le premier Adam n’est pas né d’un homme et d’une femme, mais a été formé de la terre, de même le dernier Adam, qui devait guérir la blessure du premier, a pris un corps dans le sein de la Vierge, pour être, quant à la chair, égal à la chair de ceux qui ont péché” (Commentarius in Isaïam 7, 201).
Jésus appelle sa mère “Femme”
D’autre part, nous remarquons qu’aux noces de Cana (Jn 2, 4), comme au Calvaire (Jn 19, 26), Marie est appelée “Femme” par Jésus. Ces deux passages ont en commun qu’il y est question de “l’heure” de Jésus, qui arrivera avec sa Passion glorieuse. L’évangéliste parle de Marie comme de la “Mère de Jésus”, mais Jésus lui-même l’appelle “Femme”, terme inusité dans la bouche d’un fils et qui renvoie incontestablement à la “femme” du protévangile, faisant de Marie le contrepoint d’Ève. En effet, l’Évangile selon saint Jean considère la Maternité divine de Marie, non seulement dans son rapport immédiat avec le Christ, tête du Corps mystique de l’Église, mais aussi par rapport à tous les membres de ce corps. C’est pourquoi les auteurs voient dans ce nom une allusion au protévangile de Gn 3, 15 qui, nous l’avons dit, annonce le triomphe de la femme et de sa descendance sur le démon.
“Comme mère, Marie passe de la fonction de Mère de Dieu à celle de Figure de l’Église.”
En employant le terme “femme”, Jésus “tient à signifier à Marie que le temps des relations familiales humaines est achevé”. Jésus “ne peut plus être considéré comme le fils humain de Marie, et la Vierge a cessé son rôle de mère humaine de Dieu. […] Le temps de la Theotókos (littéralement : “génitrice de Dieu”, habituellement traduit par “Mère de Dieu”) est achevé, vient celui de l’Église-Épouse qui sera la vraie parenté définitive du Fils de Dieu. Marie doit passer de sa fonction de mère de Jésus à celle de femme dans l’Église. Mais, ce titre de “Femme” que lui donne Jésus, à la place de celui de « Mère » a un caractère solennel. […] Comme mère, Marie passe de la fonction de Mère de Dieu à celle de Figure de l’Église, du rôle humain et spirituel de mère humaine du Messie, au rôle purement spirituel de femme croyante dans l’Église” (Max Thurian).
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Marie est aussi évoquée dans le “signe grandiose” de la Femme qui apparaît au Ciel au livre de l’Apocalypse (Ap 12, 1). Dans la révélation de l’Apocalypse, Marie sera associée à la royauté universelle de son Fils : “Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête” (Ac 12, 1). “La grâce qui parvient à l’humanité à travers Marie est beaucoup plus abondante que les dommages qui proviennent du péché de nos premiers parents. En Marie, comme en aucune autre créature humaine, nous voyons le triomphe de la grâce sur le péché, nous voyons s’accomplir la prophétie de la Genèse de la descendance de la femme qui écrase la tête du serpent infernal” (Jean Paul II, Homélie à Sainte-Marie-Majeure, 8 décembre 1985). Paul VI le confirme dans son exhortation apostolique Signum Magnum (1967) : “Le grand signe que l’apôtre saint Jean contempla dans le ciel, la femme revêtue de soleil, est à juste titre dans la sainte liturgie de l’Église catholique interprétée de la Bienheureuse Vierge Marie, par la grâce du Christ Rédempteur, Mère de tous les hommes.”
La Nouvelle Ève chez les Pères
Le titre de “nouvelle Ève” apparaît explicitement pour la première fois dans une homélie africaine et il s’est finalement imposé au sujet de Marie comme « le grand enseignement rudimentaire de l’Antiquité chrétienne” (cardinal Newman, Lettre à Pusey). Ève est donnée comme le “type” de Marie. Par typologie, on entend l’interprétation de l’Écriture qui “discerne dans les œuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des figurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné” (Catéchisme de l’Église catholique, n. 128).
“Vierge encore et sans corruption, Ève reçut dans son cœur la parole du serpent et, par-là, enfanta la désobéissance et la mort.”
La typologie “Ève-Marie” a été proposée en premier par l’apologète saint Justin, même si l’antithèse n’est pas explicitement mentionnée. Dans son Dialogue avec Tryphon (v. 150), il écrit que “la désobéissance dont le diable avait été le principe prit fin de la même façon qu’elle avait commencé. Vierge encore et sans corruption, Ève reçut dans son cœur la parole du serpent et, par-là, enfanta la désobéissance et la mort. Mais Marie, la Vierge, l’âme pleine de foi et d’allégresse, répondit à l’ange qui lui annonçait l’heureux message : “Qu’il me soit fait selon votre parole !” C’est d’elle qu’est né celui par qui Dieu renverse le serpent, ainsi que les anges et les hommes qui lui ressemblent, tandis qu’il délivre de la mort ceux qui font pénitence de leurs fautes et qui croient en lui ». Mais l’antithèse n’est pas explicitement mentionnée. Elle ne l’est pas davantage chez Rupert de Deutz (v. 1075-1129), moine et théologien allemand, qui reprend l’idée justinienne : “Lorsque la Bienheureuse Vierge engendra son Fils, le Christ, c’est alors que Sion donna le jour à l’enfant mâle” (De Trinitate et operibus eius 1,62).
Saint Irénée perfectionne la doctrine
Pour saint Irénée, évêque de Lyon (130-v. 208), “il n’est d’autre manière de délier ce qui a été lié sinon de reprendre en sens inverse les entrelacs du nœud. (…) C’est ainsi que le nœud de la désobéissance d’Ève a été défait par l’obéissance de Marie ; car ce que la Vierge Ève avait lié par son incrédulité la Vierge Marie l’a délié par sa foi” (Contre les hérésies 3,23).
Tertullien (v. 156-v. 220) reprend le thème de Marie nouvelle Ève. Selon lui, “il est logique de penser que Dieu a repris possession de lui [l’homme], son image et ressemblance devenue captive du diable, par un processus opposé à celui de la perdition. En effet, dans Ève encore vierge était survenue une parole édificatrice de mort ; de la même manière, il fallait que dans une Vierge entrât le Verbe de Dieu, édificateur de vie ; et ainsi, par le même sexe, retourne au salut ce qui tomba dans la perdition. Ève avait cru au serpent ; Marie crut à l’ange. Ce péché que l’une commit en croyant, l’autre le détruisit en croyant. On pourrait objecter qu’Ève n’a pas conçu dans son sein à la parole du diable. Mais elle a réellement conçu ! La parole du diable fut, en effet, la semence d’où résulta que, depuis lors, elle enfanterait dans l’abjection et la douleur. Enfin elle a enfanté le fratricide diabolique [Caïn]. Marie, au contraire, a mis au monde celui qui donnerait le salut à son frère selon la chair, Israël qui, pourtant, devait être son meurtrier” (De la chair, 17). C’est ainsi que l’humanité a reçu “la mort par Ève, la vie par Marie” (saint Jérôme, Épître 22, 21).
La guérison par Marie
Pour saint Proclus de Constantinople (390-446), “par Marie, Ève est guérie” (Oratio 1), thème repris par saint Maxime de Turin (v. 430-v. 470). Recourant à la parabole de la femme qui mêle du levain à la pâte (cf. Mt 13, 33), saint Pierre Chrysologue (v. 380-450/451), évêque de Ravenne, compare Ève qui, par son fermentum perditiæ, son “levain de perdition”, pétrit un pain de gémissements et de sueurs, tandis que Marie, par son fermentum fidei, son “levain de foi”, nous donne un pain de vie et de salut (cf. Sermon ,99). En mettant en évidence l’impact social et les effets universels de l’adhésion de la Vierge au projet salvifique de Dieu, cette typologie contribue au développement du culte d’invocation, comme en témoigne, par exemple, ce texte de saint Bernard : “Ô Vierge, noble rameau, Tige de Jessé, par laquelle a été guéri sur les branches ce qui avait péri par la racine. La racine de l’amertume, c’est Ève, la racine de la douceur maternelle, c’est Marie” (Tractatus ad laudem gloriosæ Virginis). Mais elle se trouve déjà dans l’hymne Ave maris Stella, attribuée à Venance Fortunat (530-609) : “Vous à qui l’archange Gabriel a dit aussi : Salut, établissez-nous dans la paix, et soyez notre nouvelle Ève.” Dans la légende du Miracle du moine Théophile, venue d’Orient et traduite par le diacre Paul et mise en vers par l’abbesse Hrotswitha, nous assistons au conflit entre le bien et le mal, qu’arbitre Marie, la Nouvelle Ève. Rutebeuf (XIIIe siècle) en fait un drame. Le titre de “nouvelle Ève” apparaît explicitement comme tel pour la première fois dans une homélie africaine du VIe siècle.
Marie assume le mystère de la femme…
“La comparaison entre Ève et Marie peut se comprendre aussi dans le sens que Marie assume en elle-même et fait sien le mystère de la femme dont le commencement est Ève, “la mère de tous les vivants” (Gn 3, 20) : avant tout, elle l’assume et le fait sien à l’intérieur du mystère du Christ, “nouvel et dernier Adam” (cf. 1Co 15, 45), qui a assumé en sa personne la nature du premier Adam” (Mulieris dignitatem, n. 11). De fait, souligne encore le pape Jean Paul II, nous constatons que “la comparaison Ève-Marie revient constamment au cours de la réflexion sur le dépôt de la foi reçue de la Révélation divine, et c’est l’un des thèmes fréquemment repris par les Pères, par les écrivains ecclésiastiques et par les théologiens. Habituellement, c’est une différence, une opposition qui ressort de cette comparaison. Ève, mère de tous les vivants, est le témoin du commencement biblique, dans lequel sont contenues la vérité sur la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu, et la vérité sur le péché originel. Marie est le témoin du nouveau commencement et de la « création nouvelle » (cf. 2Co 5, 17). Bien plus, elle-même, première rachetée dans l’histoire du salut, est une “création nouvelle” : elle est la “comblée de grâce” (Ibid). Marie est la Nouvelle Ève comme Jésus est le Nouvel Adam. Cette vérité si essentielle pour le dogme marial est selon les mots de Newman “le grand enseignement rudimentaire de l’antiquité chrétienne” (Lettre à Pusey).
… et dénoue le nœud de la désobéissance d’Ève
Le concile Vatican II a résumé la question en affirmant que, “comme le dit saint Irénée, “en obéissant, [la Vierge Marie] est devenue cause du salut pour elle-même et pour tout le genre humain”. Et, avec Irénée, bien des anciens Pères affirment volontiers, dans leur prédication, que “le nœud de la désobéissance d’Ève a été dénoué par l’obéissance de Marie ; ce que la vierge Ève lia par son incrédulité, la foi de la Vierge Marie le délia” ; et par comparaison avec Ève ils appellent Marie “Mère des vivants”, et affirment très souvent : “La mort nous est venue par le moyen d’Ève, la vie par celui de Marie”” (Lumen gentium, n. 56). Nous avons là aussi l’origine de la dévotion à “Marie qui défait les nœuds”. Cette image a été admirablement peinte par un artiste inconnu et est vénérée depuis 1700 dans l’église Saint-Peter-am-Perlack, à Augsbourg, Allemagne. Nous savons que le pape François a une dévotion particulière envers Marie qui défait les nœuds.
La “recirculatio” : l’humanité ramenée à la sainteté originelle
La séduction du diable, “dont avait été misérablement victime Ève, vierge déjà promise à un mari, a été dissipée par la bonne nouvelle de vérité magnifiquement annoncée par l’ange à Marie, vierge déjà en pouvoir de mari” (saint Irénée, Contre les hérésies 5, 19,1). C’est ce que saint Irénée appelle la recirculatio, littéralement, en latin, “mouvement à rebours”, qui ramène l’humanité à la sainteté originelle. “Car ce qui a été lié ne peut être délié que si l’on refait en sens inverse les boucles du nœud” (Contres les hérésies 3, 22,4). Marie joue donc un rôle analogue à celui d’Ève aux origines de l’humanité, Ève qui est la Mère des vivants (Gn 3,20) et l’épouse d’Adam, son “aide” (Gn 2, 18). Selon le symbole développé par saint Irénée, le mal contracté par les origines est vaincu par un circuit inverse (re-circulation) : le Christ reprend Adam ; la croix, l’arbre de la chute, Marie reprend Ève. Chacun des éléments gâtés au moment de la chute est renouvelé à la racine. Au XIIe siècle, le titre de nouvelle Ève va se trouver rattaché à la maternité spirituelle de Marie par le biais de la recirculatio.
À la parole du serpent (Satan, l’ange déchu) Ève avait désobéi à Dieu en cueillant le fruit maudit du péché. À la parole de l’archange Gabriel, Marie a obéi à Dieu en donnant le fruit béni de son sein. Toute l’iconographie chrétienne a médité le rapport de ces deux scènes. Que l’on songe aux Annonciations de Fra Angelico qui comportent le plus souvent en arrière fond la présence d’Adam et Ève chassés du paradis terrestre par l’ange armé du glaive (Gn 3, 24). Quand les artistes n’ont pas représenté Adam et Ève, ils ont quand même placé dans leur Annonciation un détail qui rappelle cette référence à la Genèse : ce peut-être un personnage ou un animal du bestiaire de Satan (chat, blaireau, singe, etc.), mais le plus souvent une pomme, fruit défendu, rappel limpide du péché d’Adam et d’Ève [bien qu’il ne soit pas question de pomme dans le récit inspiré, mais de pomma, c’est-à-dire d’un fruit en latin].
L’obéissance s’oppose à la désobéissance
Adam, tenté par Satan, désobéit et chuta. Le Christ, tenté lui aussi par Satan, resta fidèle, pour que là où le péché avait abondé, surabondât la grâce. D’une manière analogue au rapport Adam-Christ et dans le même contexte, saint Irénée développe l’antithèse Ève-Marie déjà ébauchée par Justin : “Parallèlement au Seigneur, on trouve aussi la Vierge Marie obéissante, lorsqu’elle dit : Voici ta servante, Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole (Lc 1, 38). Ève, au contraire, avait été désobéissante : elle avait désobéi, alors qu’elle était encore vierge. Car, de même qu’Ève, ayant pour époux Adam, et cependant encore vierge — car, pour les Pères de l’Église, Ève était encore vierge au moment où le serpent cherche à la détourner du droit chemin – de même donc qu’Ève en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain, de même Marie ayant pour époux celui qui lui avait été destiné par avance et cependant Vierge devint, en obéissant, cause de salut (cf. He 5, 9) pour elle-même et pour tout le genre humain”.
La bénédiction s’oppose à la malédiction
Celle-là engendre la malédiction dans la douleur ; celle-ci assure la bénédiction dans le salut (préface de la messe en Gaule, ex Missa in Assumptione) :
Si, en effet, celle-ci a fait entrer dans le monde la loi de la mort, celle-là lui a présenté la vie. L’une par sa prévarication nous a perdus ; l’autre par son enfantement nous a sauvés. La première par le fruit de l’arbre nous a frappés à la racine ; la seconde a porté sur sa tige la fleur qui devait nous ranimer de son parfum, nous guérir avec son fruit. Celle-là engendre la malédiction dans la douleur ; celle-ci assure la bénédiction dans le salut. La perfidie de celle-là donna son assentiment au serpent infernal, trompa son époux, perdit sa race ; l’obéissance de celle-ci lui concilia le Père, mérita le Fils, paya la dette de sa postérité.
Marie nous enfante à la vie surnaturelle en cueillant ce fruit sur l’arbre de la croix. Elle accepte dans son cœur de compassion, le sacrifice de son Fils. Nouvelle Ève, elle cueille ce fruit sur l’arbre de la croix, non plus pour notre perte, mais pour notre salut. En la personne du disciple que Jésus aimait, elle reçoit toute l’Église acquise par Jésus au prix de son sang et en devient la mère.
Le “nouvel Adam” est né lui aussi d’une terre vierge
Si Adam fut créé par la terre-vierge, non encore travaillée, donc par la vertu et la puissance de Dieu (cf. Gn 2, 4b-7), le nouvel Adam aussi doit avoir ses origines d’une terre-vierge, par la même puissance et la vertu de Dieu. Marie est cette terre-vierge dont Christ se fait “premier-né” (Irénée de Lyon, Démonstration de la Prédication apostolique, 32) :
Or, d’où provenait la substance du premier homme ? De la volonté et de la sagesse de Dieu et d’une terre vierge : “Car Dieu n’avait pas encore fait pleuvoir”, dit l’Écriture, avant que l’homme fut fait, “et il n’y avait pas encore d’homme pour travailler la terre” (Gn 2, 25). C’est donc tandis qu’elle était encore vierge que “Dieu prit du limon de la terre et en modela l’homme” (Gn 2, 7) pour qu’il fut le point de départ de l’humanité. Comme c’était cet homme même qu’il récapitulait en lui, le Seigneur reçut donc une chair formée selon la même “économie” que celle d’Adam en naissant d’une Vierge par la volonté et la sagesse de Dieu, afin de montrer lui aussi une chair formée d’une manière semblable à celle d’Adam et de se faire cet homme même dont il est écrit qu’il était, à l’origine, à l’image et à la ressemblance de Dieu.
À la croix, Marie reçoit un nouveau fils à la place de celui qui est injustement mis à mort. Aussi peut-elle dire comme l’antique Ève : “Dieu m’a accordé une autre descendance à la place d’Abel puisque Caïn l’a tué” (Gn 4, 25). Jésus, dont le sang crie plus fort que celui d’Abel (cf. He 12,24) fait de Marie la nouvelle Ève qui reçoit Seth pour devenir la Mère des vivants.
D’autres antitypes d’Ève
Les Pères de l’Église présentent aussi différents antitypes d’Ève. Par exemple, la personne de Sara, l’épouse d’Abraham, qui “engendre des enfants non dans la tristesse, mais dans l’exultation” (saint Ambroise, De Institutione virginum, 32), Marie-Madeleine, qui s’attache au Christ, l’arbre de vie véritable et se couvre, non de feuilles de figuier, mais du vêtement de la grâce (cf. saint Hippolyte, Sur le Cantique des cantiques 15, 3,1-4), thème qui devient très fréquent chez les Pères des IVe et Ve siècle, ou encore les martyrs sainte Félicité et sainte Perpétue, “deux femmes qui ont terrassé l’ennemi qui par une femme avait terrassé l’homme” (saint Augustin, Sermon 281, 1), Marthe, la sœur de Lazare, qui court vers le Seigneur pour arracher un homme à la mort, contrairement à la femme qui a couru à la faute et a causé la mort de l’homme (saint Pierre Chrysologue, Sermon 64), les deux Marie, premiers témoins de la résurrection du Seigneur (id, Sermon 77).